Fée d'hiver en Armorique :
Un soir, on frappe à sa porte pourtant jamais personne ne frappe à sa porte dans ce vieil immeuble sordide et délabré en plein cœur de Dinan… C'est une jeune femme belle, brune aux longs cheveux qui vient pour donner des cours de piano. Il n'a rien demandé et surtout il n'a pas de piano. Il n'a pas la place dans son minuscule appartement. Pourtant, deux séances avec elle suffiront pour transformer sa vie à jamais. Entre un piano fou qui n'est pas le sien, des apparitions inquiétantes et des disparitions qui le seront tout autant, il va peu à peu basculer dans l'absurde. Des légendes bretonnes aux fantômes du passé, il cherchera quelque part la vérité.
Auteur : Cédric Lesueur
Type : Polar
Editeur : Deslivresetnous.com
Numéro ISBN : 9782953131000
Nombre de pages : 260
Format :11 X 18
Début de l'histoire :
Un énième vendredi soir de ce mois de janvier 2006 plutôt pluvieux à Dinan. Les derniers jours s'étaient écoulés sans incidents. Toute la semaine, j'avais testé sans relâche des logiciels de comptabilité et autres outils de gestion, frôlant bien souvent l'indigestion. Un travail comme un autre, pour de l'argent, rien de plus. La pluie bretonne semblait avoir définitivement noyé mes maigres ambitions dans la tourmente d'un hiver plus ennuyeux que rigoureux. Ce soir-là, on frappa à ma porte. Légèrement étonné, voire exalté, je traversai la pièce lorsqu'elle tomba pile à mes pieds comme une charmante apparition. Cette jeune femme brune, assez grande, était indécemment jolie, tout le contraire de moi, émois.
_ Excusez-moi, j'ai dû me tromper d'étage !
Sa voix s'écoutait d'abord avant de s'écouler comme une source rafraîchissante. J'étais mort de trouille. Sans rien dire ou presque, l'inconnue m'avait cloué le bec. Comment lui plaire sans fausse note, la charmer, la faire rire, l'attendrir, la retenir ?
_ Mais pas du tout, je vous attendais.
Je risquai le tout pour le tout. Ne dit-on pas qu'après quatorze secondes, un regard devient racoleur ?
_ Venez, entrez !
Il fallait qu'elle me parle maintenant, que la belle anguille s'engouffre dans les rets de mon cerveau. Sans mot dire, tout en observant mon appartement, elle chercha chez moi un prétexte que je ne pouvais vraisemblablement pas lui fournir.
_ Où est votre piano ?
_ En fait, il est dans un autre appartement, mais laissez-moi vous offrir un verre avant de vous expliquer.
Je lui offris d'abord une chaise sur laquelle elle posa un regard sévère pour la forme. J'allais, comme toujours, l'informer hâtivement tout en maquillant la vérité, transcendant ma médiocrité pour la subtilité du mensonge. D'un geste, d'un mot, d'un sourire, cette fée pourrait - à n'en pas douter - métamorphoser l'existence blafarde qui couvrait mon enveloppe corporelle de vieil adolescent délaissé. Je lui proposai humblement les seules liquidités qui me restaient en poche : de l'eau du robinet, un whisky de seconde classe, du rhum ambré des Antilles, un vieux fond de Martini, du Coca Cola light ou du thé… Silencieuse, religieuse, elle choisit un sachet à la menthe.
_ Merci ! me dit-elle en cassant délicatement un morceau de sucre sur le dos d'une vieille cuillère. Tout en me versant un peu d'alcool pour aseptiser ma timidité maladive, je découvrais peu à peu ses jambes interminables. Elle portait des chaussures noires brillantes à boucles et talons hauts, aussi divinatoires que la minuscule chaîne dorée enserrant sa cheville droite. Assise en tailleur, elle avait revêtu un ensemble grisonnant du même nom et des bas dont je crus apercevoir les hauts sommets enneigés de dentelle brodée. Etait-ce le fruit défendu de mon imagination fertile ? Je perdais peu à peu la raison, quand le tintement de la cuillère contre la tasse de thé m'obligea à reprendre temporairement mes esprits…
_ Et pour le piano ?
_ Il est à deux pas d'ici, dans mon nouvel appartement. Mais je n'aurai pas les clefs avant la semaine prochaine… Vous jouez depuis longtemps ?
Je n'avais trouvé que cette maladroite pirouette tandis que je cherchais précisément quelques biscuits apéritifs pour calmer le feu de mes désirs. Elle prit le temps d'essuyer malicieusement ses lèvres avec un joli mouchoir brodé avant de me répondre :
_ Depuis l'âge de cinq ans… Et vous ?
Un type comme les autres, normal, beau de préférence, aurait certainement répondu ceci : depuis cinq minutes, depuis votre céleste apparition mais je n'en faisais hélas pas partie. Pour séduire, je me devais forcément de tricher, pasticher, truquer, troquer, promettre sans tenir, tenir sans faiblir et, insidieusement, affaiblir. Je lui proposai avant de répondre posément, quelques cacahuètes trop salées pour s'accommoder au thé un peu trop infusé. D'un geste précis de sa main silencieuse, elle écourta ma proposition.
_ Depuis que j'ai décidé d'emménager dans ce nouvel appartement, dont le piano est indissociable, paraît-il…
_ Pardon ?
La jeune pianiste anonyme décroisa furtivement les jambes dans un tourbillon d'insouciance, semblant soudainement me manifester un certain intérêt. Ses grands yeux verts s'ouvraient enfin, illuminant sans le vouloir cette mer de tempête que la noirceur de mes pensées rendait plus inquiétante encore. Au creux d'une vague, je décidai alors de m'engouffrer dans cet abandon partiel que l'évocation du mystère avait suscité chez elle.
_ Oui, c'est curieux, le piano est d'époque, comme la maison à laquelle il est bizarrement scellé…
Pour attiser encore plus sa curiosité, je pris le temps d'avaler sobrement une nouvelle gorgée de la bouteille d'eau-de-vie. À moitié vide, à moitié pleine, elle toucherait bientôt le fond, comme moi sans doute…
_ Je croyais que vous habitiez un appartement ?
Évidemment, il me fallait jouer un air autrement plus mélodieux pour convaincre cette mélomane éperdue. Je m'égarai quelques instants dans mes propres contradictions, cherchant à gagner du temps sans trop savoir comment m'en sortir.
_ Oui, c'est bien un appartement, mais il fait partie intégrante d'une vieille demeure qui a été partagée en deux au début du siècle dernier, d'après ce qu'on m'a dit. Je ne sais pas si vous connaissez bien Dinan… C'est dans une rue située juste à côté de la rue de l'Apport, je crois…
N'en sachant guère plus, je ne m'aventurai pas outre mesure, sous peine qu'elle ne me confonde devant l'importance de certains détails mal maîtrisés. Et puis, je n'avais plus qu'un vague souvenir de cette soirée invraisemblable.
_ Vous ne connaissez pas le nom de la rue où vous allez habiter ?
_ Oui et non… J'ai juste un trou de mémoire...
Dans lequel je m'enfonçais inexorablement.
_ La rue de l'Apport est située entre l'hôtel Beaumanoir et la Tour de l'Horloge. Vous pouvez préciser ?
La belle semblait connaître l'endroit sur le bout des doigts. Malgré sa résistance, je décidai de poursuivre, puisant dans mon indécollable scotch cet indicible espoir qu'il me distillerait au compte-gouttes.
_ Oui, c'est juste en face d'une église.
_ Votre maison est en pans de bois ?
_ Non, mais si ça peut vous aider, c'est juste avant d'arriver à la Place des Cordonniers.
_ Je vois, c'est la Grand Rue… Pour votre culture, cette rue est effectivement en face de l'Église Saint-Malo. Et vous parliez de la Place des Cordeliers et non des Cordonniers.
Je décidai d'adopter un profil bas tout en essayant de garder la tête suffisamment haute pour ne pas la décevoir stupidement, ce qui n'était pas une mince affaire.
Critiques de la presse et avis des internautes :
Extrait :
Je voyais mal ce pauvre homme finir ses jours dans une maison de retraite, tout comme ma grand-mère qui s'était toujours refusée à quitter son humble demeure. Finalement, je crois qu'elle avait eu raison. Ainsi, malgré la maladie d'Alzheimer, elle termina sa vie chez elle comme un poisson dans l'eau avec une mémoire de quelques secondes, insouciante, inconsciente mais tellement libre et heureuse…
_ Oui, vous devez vous en douter, l'Ankou va bientôt venir me prendre à la vie.
Je ne comprenais rien à ce qu'il me disait, le suspectant même d'avoir commencé à boire bien avant mon arrivée.
_ Excusez-moi, mais c'est qui " Long cou " ?
Je l'imaginais avec un brin de malice prendre rendez-vous avec l'homme-girafe.
_ Non… l'Ankou, oberour ar maro, c'est l'artisan de la mort…
Parlant moitié breton, moitié français, il me décrivit alors un long squelette drapé d'un linceul noir, coiffé d'un large chapeau couvrant ses yeux, telles deux chandelles brillant dans les ténèbres de la nuit. Outre cet aspect effrayant, son ami portait une faux à la lame retournée qu'il affûtait avec un os humain. Il m'expliqua alors que le dernier mort de l'année devient l'Ankou de l'année suivante. Le jour, il nargue les passants en langue bretonne en leur rappelant "Maro han barn ifern ien, Pa ho soign den e tle crena" : "La mort, le jugement, l'enfer froid, quand l'homme y songe, il doit trembler". Et l'ankou de chanter sa funeste ballade aux humains effrayés.
_ Mais comment pouvez-vous savoir qu'il va venir vous chercher ?
J'évitai soigneusement de lui demander si son sinistre camarade lui avait téléphoné ou envoyé un mail pour le prévenir. Sans doute n'aurait-il pas apprécié la plaisanterie, et il aurait eu raison.
_ Ce n'est pas la grande forme, je suis plus proche de la fin que du début… et puis…
Il sortit de son armoire un paquet poussiéreux de biscuits apéritifs dont je doutais de la date de fraîcheur.
_ Et puis ?
J'avais raison, la date de péremption que j'avais pu subrepticement apercevoir correspondait à la date de ma dernière année d'université. Ça remontait presque à une éternité.
_ J'ai eu un intersigne.
_ Excusez-moi, je dois vraiment passer pour un inculte mais c'est quoi, un intersigne ?
Je m'en doutais un peu car le terme était suffisamment évocateur, mais je le laissais tranquillement me parler des signes annonciateurs de la mort. L'intersigne aperçu le matin annonce l'événement sous huitaine. Le soir, l'échéance est plus lointaine; elle peut être d'une année et même davantage.
_ Et vous, vous avez vu quoi alors ?
_ Karrig an Ankou !
Et il but le reste de son verre de Grenache d'un coup sec.