Nouvelles
Baiser de Judas - Cédric Lesueur
- Asseyez-vous !
Ton neutre, bureau aussi déprimant que le bâtiment. Le quarantenaire, mal habillé, mal rasé obéit sans broncher. Les deux gendarmes qui lui faisaient face n’étaient pas là pour rigoler. L’un se chargerait de l’interroger, l’autre taperait sa déclaration sur l’ordinateur et peut-être sur lui, si les réponses ne convenaient pas. Du moins, se plaisait-il à le croire.
- Je peux savoir pourquoi je suis ici ?
- Vous le saurez d’ici quelques minutes Monsieur Radoutay… Comment s’est passé le confinement pour vous ?
L’homme ne comprenait pas trop le sens de la question, mais il répondit quand même.
- Mal… Ma femme m’a quitté au bout d’un mois et demi. Elle ne me supportait plus. Je crois que c’est le lot de beaucoup de couples hélas.
L’air dubitatif, le capitaine Flamanville se gratta le menton. C’était mauvais signe.
- Quand vous dites qu’elle vous a quitté, vous ne voulez pas plutôt dire qu’elle vous a viré de la maison.
- Euh… Oui. C’est pareil. Non ?
- Non. Soyez précis dans vos réponses s’il vous plaît. La maison appartient-elle à votre femme ?
- Oui.
- Vous êtes sans emploi depuis quelques années déjà ?
- Oui et ce n’est pas près de s’arranger avec cette crise, affirma-t-il penaud.
- Vous vous êtes retrouvé à la rue alors ?
- Pas exactement… Mélanie dans sa grande mansuétude m’a laissé le camping-car. Mais pourquoi toutes ces questions ?
- Le 5 mai dernier, vous êtes bien allé voir vos parents qui habitent à Josselin ?
- Oui.
- Vous ne les aviez pas vus depuis plus de cinq ans ? C’est bien cela ?
- Qui vous a dit cela ?
- Vos deux sœurs.
Il l’avait pensé tellement fort que ses lèvres articulèrent le mot « salopes » sans le prononcer toutefois.
- Alors ?
- Oui, je ne les avais pas vus depuis longtemps.
- Pourquoi ?
- Une brouille familiale, c’est le lot de…
Le gendarme l’interrompit. Son menton le démangeait de plus en plus.
- Oui, on sait… Mais pourquoi en plein confinement, vous êtes parti à Josselin ? Je vous rappelle que les déplacements étaient interdits à cette période, sauf raison impérieuse. Et puis, cela fait une sacrée trotte d’Argenteuil.
- J’avais peur pour eux. Je voulais les voir, les rassurer…
- Et pour évoquer votre situation peut-être ?
- Comment ça ?
- Leur demander de l’argent par exemple ?
- Non, je suis trop fier pour cela.
- Trop fier ? C’est toujours votre ex-femme qui s’occupe de votre linge sale ? s’amusa le militaire avec un sourire narquois.
- Oui. Ce n’est pas évident de vivre en camping-car… Elle m’aide un peu en attendant que ma situation s’améliore.
Le militaire prit un papier qui traînait sur son bureau et lui tendit. Le visage de Monsieur Radoutay se décomposa d’un coup. Il venait enfin de savoir où il avait foutu ce putain de document et pourquoi il était auditionné ce matin-là…
L’étau se resserrai.
- Voyez-vous Monsieur Radoutay, si vous aviez été plus malin, vous auriez détruit les résultats du prélèvement. Sans cela, nous n’avions aucun moyen légal de savoir si vous aviez été dépisté ou non.
- Mais pourquoi j’aurais fait une telle chose ? tonna-t-il. Il n’y a pas de honte à avoir chopé cette merde quand même. On est des millions dans le monde !
- C’est vrai. Sauf que vous, vous l’avez sciemment transmis à vos parents !
- Pardon ?
- Votre résultat de positivité au covid-19 date du 3 mai et le 5 mai, soit le surlendemain, vous vous rendez chez vos parents octogénaires et souffrant de différentes pathologies, notamment des difficultés respiratoires pour votre père.
- Mais…
- Taisez-vous, je n’ai pas fini ! Vous êtes asymptomatique alors ils ne se méfient pas, trop heureux de vous revoir… Vous y allez sans masque, vous les embrassez, les enlacez comme si vous les aimiez…
- Mais comment vous ?
Les gendarmes jubilaient. La partie était gagnée maintenant.
- J’ai la déposition de la voisine d’en face… Une vraie commère, si vous saviez. J’ai aussi les témoignages de votre femme, pardon votre ex-femme et de vos deux sœurs qui m’ont affirmé que vous détestiez vos parents.
- Salopes ! hurla le suspect.
Le mot s’était enfin échappé.
- Vous vouliez toucher votre héritage avant la date de péremption si je puis m’exprimer ainsi. Même s’il faut partager avec les deux autres « salopes » comme vous dîtes, vos parents laisseront un joli pactole à leur mort… Ce qui ne devrait pas tarder puisqu’ils sont tous les deux en réanimation depuis quelques semaines déjà.
L’autre militaire ajouta :
- Si ça peut vous rassurer, vous n’êtes pas le seul « coronacriminel » en France. Nous avons des dizaines de dossiers comme le vôtre en cours… On les appelle « les baisers de Judas ».
- Salopes !
Ce fut le dernier mot de Philippe Radoutay avant qu’il ne se terre à jamais dans un silence cathartique.
21 grammes : Un conte de Noël - Ludivine Briquet
Les cris le sortirent de sa torpeur. Les paupières lourdes d’alcool essayèrent tant bien que mal de se soulever. Le timbre de voix lui semblait familier. L’effet du gin semi-frelaté de cette nuit lui anesthésiait encore le cerveau. Le petit épicier asiatique ouvert tard où il avait ses habitudes lui revendait des bouteilles au-delà de la péremption, des contrôles sanitaires ou toute autre composition chimique digne d’une bouteille d’alcool. Le gin n’était pas son breuvage préféré à la base. Mais cela faisait des mois qu’il ne faisait plus de manières sur ses anciens goûts. Un whisky douze ans d’âge sur un glaçon était devenu un mirage qui leurrait son cerveau devant une gnôle à bas prix. Seul le coût déterminait sa boisson/repas du soir. Et si la bienveillance des promeneurs était à la hauteur d’un rhum premier prix ou d’un whisky abordable. Il ne fallait pas faire le difficile sur la qualité gustative.
En ces périodes de fêtes de fin d’année, les passants avaient la générosité moins pingre. Alors hier, il avait pu festoyer d’un sandwich chaud et de frites, mais pour faire couler le tout, il ne restait plus assez d’argent pour autre chose que ce gin sorti d’une cave moisie.
Cela faisait longtemps que sa langue désormais râpeuse n’avait pas baigné dans un nectar digne de ce nom. L’image d’un verre en cristal ciselé contenant un précieux liquide ambré, versé pompeusement sur un glaçon à température idéale par un barman zélé s’imposa à son esprit. La soif le faisait divaguer. Un relent de souvenir d’un contrat magistral signé dans un hôtel chic de la capitale, décoré à outrance pour attendre un Père Noël luxueux. Il se rappelait maintenant. Le sacre de sa carrière. Son quart d’heure de gloire. Le début de sa fin.
Dans son costume d’homme d’affaires de haut vol, son esprit jonglait alors avec des chiffres qu’il n’arrivait même plus à formuler aujourd’hui. Il enchainait des discussions en anglais pendant des heures, au téléphone, sur ordinateur en visioconférence ou dans des restaurants étoilés. Les gens qui rythmaient sa vie d’avant et qui étaient si importants au point de passer avant tout n’avaient plus de figures à présent. Il ne parvenait plus à définir les contours du visage et du corps de sa femme. Son ex-femme bien entendu. Toute cette existence n’était plus qu’une oasis dans un désert de solitude. Est-ce que tout ceci avait même réellement existé ? Il ne saurait dire.
Les cris étaient toujours présents. Cela le dérangeait dans les vapeurs de vie qui rythmaient sa somnolence. Ou bien percevait-il au loin les éclats de voix de badauds attroupés devant une animation festive en rouge et vert ? Il détestait cette période. Noël, c’est bon quand on a un toit, des amis, de la famille, un sapin… lui, il voulait juste dormir.
Le gin de la veille ne s’évaporait pas facilement. Serait-il encore assez habile pour indiquer à un groupe de touristes anglais la route pour aller au Trocadéro ? Hier, ou le jour d’avant, peu importe, tous les jours sont identiques, il n’avait pas été capable de comprendre un jeune homme d’une vingtaine d’années qui lui avait laissé une pièce d’un euro tout en baragouinant quelque chose. En anglais. Américain. Ça, il en était sûr. Un accent pareil, cela ne faisait pas de doute. Les mots prononcés ? Aucune idée. Si, peut-être un rapport avec la tour Eiffel. Il avait cru distinguer cette information tout en lançant un regard vitreux au garçon qui s’était éloigné aussitôt. À rebours, il s’était dit que pour voir la tour Eiffel, le gars n’avait qu’à lever les yeux et la tête, il finirait bien par l’apercevoir, elle était grande la tour. Cela l’avait fait marrer. Il ricanait seul dans son coin tout en prenant garde à bien ranger l’euro gentiment déposé dans sa poche de manteau intérieur avec ses doigts devenus gourds.
Avant, il pianotait des heures sur son ordinateur, sans même examiner les touches. Une dextérité hors du commun. Aujourd’hui, il pouvait à peine ramasser une feuille de journal au sol avec ses doigts gonflés et crochus. Il tentait parfois de lire une bribe de gazette éparpillée sur les trottoirs ou abandonnée dans une poubelle publique. Mais il fatiguait au bout de trois lignes. Ses yeux n’avaient plus l’habitude de déchiffrer des textes. Et son cerveau ne retenait plus l’information. La date du jour ? L’heure ? Les derniers événements marquants ? Cela le dépassait maintenant.
Décidément, les cris étaient familiers. Une voix féminine. Cela résonna en lui et le fit frémir. Les ultimes échanges avec sa femme. Cet être humain qu’il avait tant adoré, bercé, aimé, puis tellement déçu. Pour finalement la dégoûter. Les exclamations étaient devenues son unique mode de communication sur la fin de leur union. Une décennie sans heurts ni haine ni violence s’était éteinte brutalement. Il se savait seul responsable. Ce foutu contrat qui avait propulsé un homme droit dans sa vie vers un gouffre sans fond comme celui des bouteilles d’alcool qu’il écumait depuis. Tous les reproches qu’il avait pu entendre ne seront jamais à la hauteur du poids de la culpabilité qu’il tentait d’oublier en se transformant en ombre. Tapi dans un coin, il attendait maintenant la mort. Sur fond de « Vive le vent ». La mort était cynique.
Mais cette dernière était bruyante, les cris s’amplifiaient. Peut-être étaient-ils annonciateurs de sa fin ? Enfin. L’intonation était cependant de plus en plus familière. Il repensa alors à toutes ces voix féminines qu’il avait eues dans les oreilles. Sa mère, ses copines, petites-amies, fiancées, femme officielle, maîtresses, assistantes, clientes, vendeuses… toutes faisaient partie d’un bout de sa vie d’homme, de son parcours jusqu’à son apogée. Puis, il y eut un silence total. Plus de voix sensuelle, soutenue, même plus un reproche. Un silence indifférent. Assourdissant de mépris.
Une voix avait fini par lui arracher la vérité. Elle s’appelle Anna. Elle est SDF elle aussi. Elle est plus jeune que lui, mais une fois plongée dans la crasse et l’oubli, l’âge ne se compte plus en années. Seul le poids de l’âme penche dans la balance du bien et du mal. Il avait raconté à Anna cette déchéance qu’il avait subie, un soir où l’alcool n’avait pas eu l’effet escompté. Un soir où il s’était laissé approcher par cette présence douce et réconfortante. Un soir où la « divaguerie » l’avait emporté sur sa honte. Un soir où les raisons avaient expliqué son naufrage.
À Anna, il avait narré sa carrière bien menée dans les affaires de rachats de petites entreprises pour un grand groupe. Il se croyait chat à la recherche de souris. Il devint lion. Puis il concrétisa sa perte quand ce gros contrat le propulsa dans les hautes sphères du management. Le dépassant au-delà des récompenses. Il l’avait réalisé brutalement un jour dans la rue en croisant le regard d’un SDF qui faisait la manche sous le perron de son immeuble bourgeois. Un choc s’était produit en lui. Il avait reconnu l’entrepreneur qu’il avait dépouillé de sa société, au lieu de l’aider. Il se terra dans un mutisme profond. La vérité l’éclaboussa alors. Toutes ces transactions avaient précipité sa chute. Au fur et à mesure des avancées de sa carrière, il avait senti perdre en lui quelque chose qu’il ne s’expliquait pas. Il avait mis cela sur le compte de l’adrénaline qui le gagnait à chaque fois. Mais son entourage avait déjà noté des humeurs sombres, des élans de carnassiers sans scrupules. La pitié s’était totalement évanouie de ses gènes lors de son dernier contrat. « Royal » avait dit son directeur de l’époque. Mais un vertige avait secoué son corps. Et quelque temps plus tard, entre deux règlements de comptes avec ses amis, sa famille, sa femme, il fut frappé par le regard de cet homme qui transperça sa carapace et le fit vaciller.
Il dit à Anna qu’il avait réalisé avoir signé par étapes les clauses d’un pacte avec le Diable. Il avait repris tous ses dossiers et découvrit les drames, les déboires, les ventes, les suicides, les naufrages. Il perdit pied. Il ne revit pas cet homme dans sa rue et se mit en quête de le chercher frénétiquement jour et nuit. Au détriment de son travail, de sa vie de famille si frêle. Il commença à passer ses soirées avec ce côté obscur de notre monde. Cette partie qui fait peur, ce monde dur et hostile où la nuit est pire que le jour. Où le froid ne vous quitte jamais. Où l’humanité ne pointe que par bribes les soirs de Noël.
Il relata à Anna cette histoire qu’il lisait parfois à son neveu, à l’époque où il avait le temps et l’envie. Le Diable avait attiré dans ses filets un jeune homme épris d’ambition. La ruse et le déguisement avaient eu raison des bons préceptes du débutant qui s’aperçut un matin avoir perdu 21 grammes sur sa balance. Le poids de son âme.
Il confia à Anna qu’il vivait les mêmes sensations que ce personnage. Il se sentait délesté de ces 21 grammes. Ce chiffre avait été déterminé scientifiquement à une époque où l’âme et les bonnes actions comptaient. Il y croyait. Lui qui n’avait pourtant plus rien à attendre de la vie. Il avait passé ces derniers moments de vie à chercher cet homme pour le rétablir sur de bons rails. Mais en vain, l’homme avait disparu. Et un matin dans la rubrique « faits divers » du journal, il avait lu la nouvelle. Un SDF repêché dans la Seine. Un ancien entrepreneur à succès qui avait déployé les bonnes actions autour de lui s’était noyé. Volontairement ou poussé par un envieux qui lorgnait son sac de couchage. Tout était imaginable. Mais l’enquête n’irait pas plus loin. L’homme avait perdu sa femme et ses enfants dans un accident de voiture peu avant de finir à la rue par le traumatisme. Le fait divers avait fait parler. Il était question d’une dispute dans le véhicule avant l’embardée fatale, au sujet de la vente de son entreprise à un groupe peu scrupuleux lui ayant fait miroiter la fortune. Selon les dires de proches.
Il n’avait pas pu détacher ses yeux de l’article. Et il commença à écumer les bars, à déserter son travail qui ne tarda pas à se débarrasser de ce fraîchement promu directeur qui voulait inverser la vapeur et retrouver les anciens clients pour les aider. Et sa femme de ne plus supporter l’être irascible qui rentrait à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, imbibé, délirant, odorant. Il lui laissa tout en guise de dédommagement et se tapit définitivement dès les papiers du divorce signé.
Anna lui tenait ainsi parfois compagnie. Elle avait fui ses parents pour un garçon qui l’abandonna aux mains d’un maquereau contre quelques billets. Elle était une présence agréable, souvent muette et attentive. Leurs moments adoucissaient leur routine. Elle avait cette voix un peu éraillée, si particulière qui lui avait beaucoup plu. Si détonante par rapport à sa jeunesse, cependant le reflet de l’aboutissement de son quotidien.
Les cris devenaient des hurlements lui semblait-il. Son imagination essayait de lui dire quelque chose ? Ou bien se déroulait-il un drame à quelques pas de son corps échoué ? Il n’avait aucune envie de bouger. Sa carcasse s’y refusait. Son esprit n’arrivait pas à aligner deux pensées cohérentes.
Quand un lien se créa dans son être engourdi. La voix était apeurée et réclamait son aide. Cette voix rauque, il en était sûr maintenant. C’était Anna. Elle était en danger. Il lui fallait se concentrer. Ouvrir enfin les yeux. Il la vit alors. C’était bien elle, aux prises avec deux hommes malveillants. Combien de temps avait-il bien pu s’écouler depuis qu’il avait entendu ses cris ? Une minute ? Cinq ? Il ne saurait dire.
Une montée d’adrénaline le poussa sur ses pieds, tel un colosse d’une autre époque émergeant des brumes des enfers. Il vacilla plusieurs fois. Trébucha. Tomba. Il devait y avoir dix mètres à parcourir. Cela lui sembla surhumain à atteindre. La voix de sirène d’Anna le guida dans son acte qui se souhaitait être héroïque. Que lui voulaient ces hommes ? La violer ? Lui voler sa came ? Son peu d’argent enfoui dans une poche ? Puis la tuer ?
Tout en approchant, il vit le reflet d’une lame de couteau. Ou bien était-ce ses yeux qui ne supportaient toujours pas la lumière du jour ? Il ne réfléchit pas. Il n’eut pas le temps d’élaborer un plan. Il se vautra lamentablement de ton son poids sur l’agresseur au poignard présumé. Ils tombèrent lourdement à terre. L’individu fut surpris et s’effondra la tête la première sur un pavé mal enterré. Le sang jaillit aussitôt. Lui rappelant ainsi celui qu’il avait fait couler dans son autre vie.
Mais l’homme n’était pas mort et beuglait à son tour. Le deuxième assaillant prit la fuite sans se soucier de son partenaire. Il le vit s’éloigner tel un lapin un jour de chasse. Se pourrait-il qu’il ait fait aussi peur à cet homme ? Lui qui n’était plus que l’ombre de lui-même ? Il remarqua alors du sang sur l’une des vestes qu’il portait. Un vieux relent de son passé, élimé et crasseux. Le couteau au sol scintillait toujours, rouge vif. Était-il blessé ? Ou était-ce la personne à terre qui gémissait ? Il croisa le regard d’Anna, apeurée. Puis il lut la gratitude et la perplexité. Et enfin, l’inquiétude. Au même moment, une douleur l’envahit. Et une charge pesa sur sa carcasse. Le faisant tomber un peu plus sur les pavés froids. Il entrevit l’homme s’échapper en claudiquant. C’était donc lui le blessé. C’était bien ainsi. Il se sentit apaisé. Il était temps. Finalement, il avait réussi quelque chose. Une bonne action. Contre un coup de poignard dans le ventre.
Plus tard. Beaucoup plus tard, il ouvrit les yeux. Il y avait des murs beiges autour de lui. Il entendait des intonations de voix. Encore. Avait-il gagné sa place au paradis ? Un ange arriva, déguisé d’une blouse blanche quelques minutes après, alors qu’il essayait de fixer son regard. L’être surnaturel fut ravi de le voir émerger. Il n’était qu’à l’hôpital. En fin de compte, il fut déçu. Puis les sensations survinrent. Son corps, son esprit. Puis son âme. Il se sentait lourd de conséquences. L’ange habillé en infirmière lui relata les courbatures à venir, car il avait pris un coup de couteau qui avait failli être fatal. Mais son amie avait pu appeler les secours à temps. Et il avait l’air solide, il s’en remettrait sans soucis. Ah bon ?
Cela lui parut étrange. Mais les vapeurs cauchemardesques qui le hantaient semblaient à distance. L’aide-soignante lui apprit qu’il l’avait pesé avec un système perfectionné, pour jauger la dose médicamenteuse et il lui avait trouvé un poids précis « virgule 21 grammes ». Elle riait, ce n’était pas courant ces 21 grammes supplémentaires. Il finit par sourire, des heures plus tard. Étendu sur son lit d’hôpital, bercé par un « Mon beau sapin » entonné dans le couloir pour égayer le pot de Noël des soignants. Nous étions un 24 décembre. Sa vie pouvait se remettre en route.
La Résidence du Bon Repos - Ludivine Briquet
Préambule :
Chaque fait divers est source d'inspiration. Ce dernier, plutôt récent, a attiré mon imaginaire. Ce qui m'a permis de broder une intrigue... un petit conte de fait divers.
Je me suis aussi basée sur le dicton anglais « Not in my backyard » ( que l'on peut traduire textuellement par : pas dans mon jardin), il est de circonstance dans cette nouvelle...
Enjoy !
Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms d’entreprises, des situations existantes ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.
CHAPITRE 1 : La Résidence du Bon Repos
Il était une fois, dans un quartier résidentiel d’un petit bourg breton, un événement qui allait bouleverser la vie de ses habitants. La paisible Résidence du Bon Repos fut secouée par de terribles secrets et divers non-dits qui changèrent à jamais la quiétude de ses occupants.
Une dizaine de maisons construites dans les années 1990 abritaient des familles ou couples ou célibataires de différents horizons. Les habitations étaient positionnées à distance raisonnable les unes des autres et orientées sans réel vis-à-vis, ce qui était fort appréciable de nos jours où le mètre carré devenait une denrée rare. Une allée centrale séparait les deux rives paires et impaires de la résidence et chaque foyer disposait d’un espace honorable devant pour se stationner. Du numéro un au numéro dix, les demeures de plain-pied ou à étages se succédaient dans un même alignement jusqu’au fond, un peu plus évasé où les maisons avaient été légèrement décalées pour laisser la place à un retournement en guise de cul-de-sac. Cedit « retournement » fut le sujet de conversation principal qui anima la dernière Fête des Voisins. Chaque année, la plupart des voisins pouvait se réunir sous cet ingénieux prétexte qui permettait de partager des apéritifs dînatoires, où les langues se déliaient. Tantôt pour les bonnes causes et échanges de bons procédés, tantôt pour s’unir en une action contre un nouveau venu à mettre au pas. Tout le monde ne participait pas, certains ne venaient pas de peur de règlements de comptes ou d’autres préféraient la tranquillité d’une soirée chez eux ou avec leurs amis.
Cette année, l’assemblée était assez grande. Quelques personnes ne pouvaient pas venir chaque année ou avaient d’autres impératifs. Mais cette fois-ci, la fête battait son plein et les discussions allaient bon train autour du barbecue et sous le barnum. Les enfants virevoltaient partout dans le lotissement comme des rois, le quartier étant bouclé. Même le temps breton était de la partie, l’éclaircie s’était installée une heure avant le démarrage de la soirée. Tout était parfait. Et tout le monde d’accord sur un même sujet de conversation : la construction d’une résidence supplémentaire au fond, après le « retournement » qui officierait comme entrée pour desservir cette extension. Les habitants de la première division se lamentaient à ce sujet. Ils allaient perdre en calme... Des travaux pendant des mois... De gros engins de BTP allaient défiler... Il y aurait danger pour les enfants... Le bitume serait certainement à refaire après... Qui paierait ??... Et les nouveaux arrivants, il faudrait les encadrer, leur présenter les « règles » à respecter... etc.
Ils n’avaient pas eu le choix ni leur mot à dire, le terrain du fond était un champ sur lequel la mairie avait exercé son droit de préemption. Il fallait construire des logements. Le bourg étant très plébiscité, car bien desservi et proche d’une grande ville. Et un matin de printemps morose, les habitants virent débarquer des tracteurs et pelleteuses à travers des nappes de brouillards. La Résidence du Bon Repos venait de perdre son statut bien nommé. La guerre aux incivilités était déclarée...
CHAPITRE 2 : Les Gaggini (numéro 10)
Le débarquement des engins perturba immédiatement la vie des habitants du quartier. Les employés des travaux ressentirent l’hostilité envers eux et les promoteurs et chefs de chantiers n’entendaient que doléances jour après jour. Trop de bruits... Les tracteurs et bétonnières roulaient trop vite dans laréside nce... Ils travaillaient jusque tard... Le samedi... La route de passage était laissée sale... etc. C’est ainsi qu’un soir, une réunion de chantier improvisée se fit dans le plus grand silence et la plus grande discrétion pour ne pas attirer plus l’attention. Une sombre décision devait être prise. M. Gaggini ne tint pas compte de cet attroupement en rentrant de son travail ce soir-là, regardant d’un mauvais œil ce rassemblement. Ils avaient dû casser une canalisation ou briser la fibre optique avec un peu de chance, dégourdis comme ils sont ! Les travaux l’ennuyaient encore plus que les autres personnes du quartier, car il avait eu le bonheur d’être le dernier habitant dans le cul-de-sac, mais se trouvait malheureusement aujourd’hui le premier impacté par le chantier. Il vivait sans clôture pour border le terrain en friche. Depuis que les grandes manœuvres avaient débuté, des tranchées se creusaient de son côté et sur tout l’arrière de sa parcelle, et remonteraient jusqu’au numéro deux de la résidence. En attendant, il s’était rendu à l’évidence, il lui faudrait monter une palissade pour se protéger du nouveau
voisinage.
Il rentra donc sa voiture dans son garage en pestant contre les marques de boues devant sa maison et les trous béants en mitoyenneté de son terrain. Ah ! s’il était chez lui, en Corse, cela ne se passerait pas comme cela. Il ne se laisserait pas envahir si facilement ! Mais c’était du passé tout cela... Seulement, les employés du chantier allaient le ramener à d’anciens plans machiavéliques rapidement. En dégageant une canalisation à l’air libre, ils avaient aussi mis à l’air un encombrant fardeau qui menacerait instantanément le projet immobilier s’il était découvert. Les ouvriers exécutèrent les ordres quand la décision fut prise et promirent silence et reconnaissance au travers d’une prime de fin de chantier.
Ce fut avec une certaine appréhension que M. Gaggini attendit le lendemain le paysagiste pour un devis, pour prévoir une clôture et un décor pour cacher tout ce chamboulement de vis-à-vis. M. Gaggini n’était pas jardinier et encore moins manuel. Les devis pour travaux l’horrifiaient toujours. Il négociait à chaque fois au plus près. Il s’imaginait déjà un coût démesuré, mais ce serait le prix de la tranquillité et Mme Gaggini ne voulait absolument pas faire appel à un bricoleur quelconque, il y avait un standing à garder dans le quartier et montrer aux futurs habitants, combien leur maison était belle et bien entretenue. M. Gaggini tuait donc son impatience en longeant la tranchée de côté, moitié béante, moitié recouverte. Il repensa à la réunion de la veille au soir et s’interrogea s’ils avaient dégradé quelque chose finalement. Il remonta lentement de son côté et vit le paysagiste arriver, au moment où une motte de terre pas tout à fait bien égalisée attira son attention. La curiosité piquée, il se demanda ce que cette motte faisait dans son jardin. Il se rappela vaguement que le fond avait été sondé puis recouvert grossièrement au début des travaux. En se rapprochant, il nota des morceaux blancs qui dépassaient légèrement. En creusant du pied, M. Gaggini resta stupéfait. Il venait de mettre à nu un crâne humain et quelques os. Interdit, il entendit son épouse babiller avec le paysagiste. Il se précipita comme un fou au-devant d’eux et hurla au jardinier qu’il pouvait partir, ils n’avaient plus besoin de lui. Sa femme fut interloquée et insista. M. Gaggini haussa le ton tant et si bien que le pauvre paysagiste prit les jambes à son cou et jura de ne jamais revenir dans le quartier et passerait le message à ses collègues. Mme Gaggini, maintenant muette, regardait son mari et attendait des explications.
– Viens voir, souffla-t-il.
Elle le suivit docilement et resta à son tour bouche bée. Ils discutèrent à voix basse, pour ne pas que des voisins entendent. On ne sait jamais. Il avait déjà suffisamment attiré l’attention en s’emportant contre lepaysagiste. Ce n’était pas possible , qu’est-ce que ces os faisaient là ?
La question principale de M. Gaggini était de savoir si quelqu’un avait vu ce cadavre, à part eux. Il pensa à la réunion de la veille, mais l’attroupement était plus loin dans le terrain en friche. Pour lui, cela avait été remonté à la surface quand le sol avait été sondé pour trouver si les canalisations passaient bien à cet endroit, pour raccorder la nouvelle résidence. Mais derrière une tractopelle, l’employé n’avait pas remarqué ce que la terre avait mis à l’air sinon, cela se serait su rapidement. Les époux Gaggini s’attelèrent promptement avec des outils et des seaux pour évacuer l’encombrante découverte dans le cabanon. Un voisin les interpella, il n’avait jamais vu M. Gaggini avec une pelle à la main :
– Oh ! M. Gaggini, vous avez sorti la grosse artillerie, dites donc ! Vous avez trouvé de l’or ou un cadavre ??!
Et le voisin de rigoler euphoriquement. Et M. Gaggini de blêmir en s’accrochant au manche de sa pelle.
– Non, voyons, quelle idée ! Nous avons mis la main sur un nid de taupes ! On en profite ! inventa-t-il rapidement.
– Okay, bon courage alors, s’en fut le riverain du numéro un.
– C’est Belon avec son Cocker qui pisse partout. Il furète tout le temps celui-là, maugréa M. Gaggini à sa femme. Bon, on a tout ?
– J’en sais rien, moi, je n’ai pas l’habitude de ramasser des os ! S’offusqua-t-elle.
Oh la la, c’était si simple jusqu’à présent ! Mais avec son casier judiciaire pour une sombre affaire d’abus de biens sociaux en Corse, M. Gaggini ne pouvait se permettre d’attirer l’attention sur lui. Il devait faire profil bas. Ils étaient venus s’installer en Bretagne contraints et forcés, pour repartir à zéro. Il était hors de question de se faire remarquer avec un cadavre dans le jardin.
– Que comptes-tu faire ? lui demanda sa femme le soir, après une bonne douche et une rasade de Martini bien tassé.
– Le refiler aux Cubains, en face !
On ne s’encombre pas de scrupules ! Pas avec son passé. Il avait recommencé une vie d’homme d’affaires respectable. Il était en vogue sur le marché des applications mobiles et comptait bien perdurer. Et puis, il avait une dent contre ses voisins Cubains qui faisaient tout le temps la fête et utilisaient son emplacement de parking devant la maison. Et leur gros chien baveux, un chien des Pyrénées, ici, en Bretagne ! Pfff !
CHAPITRE 3 : Les Da Silva (numéro 9)
Et c’est bien Dogo, le fidèle chien des Pyrénées de la famille Da Silva qui fut le protagoniste de cette matinée de dimanche, qui s’annonçait pourtant tranquille. Les Da Silva étaient une tribu pleine de vie, avec quatre enfants, Dogo, et des amis qui défilaient constamment pour des repas copieux. M. Da Silva travaillait comme plombier et était reconnaissant d’être en Bretagne pour la liberté qu’offrait la France à sa famille. Cuba était leur patrie et ils y retournaient tous quelquefois, mais le voyage était long et cher. M. Da Silva étant le seul revenu du foyer, les dépenses
étaient comptées, mais ils ne manquaient de rien, et les petits boulots en aparté arrondissaient les fins de mois et leur permettaient de prétendre à cette location dans un quartier si calme. Cependant, certains voisins, proches, ne les percevaient pas de la même façon, supportant leurs repas conviviaux tardifs et les rassemblements d’enfants et divers copains bien bruyants. Bref, la vie version cubaine tranchait un peu à la Résidence du Bon Repos.
Ce beau dimanche de juin, les Da Silva attendaient comme à l’accoutumée des amis et autres bambins et adolescents pour un barbecue. Au grand dam de leur co-voisinage. M. Da Silva commençait à faire prendre des braises tout en surveillant du coin de l’œil sa progéniture jouant avec Doo. On ne sait jamais les réactions d’un canidé si impressionnant face à un geste des enfants mal interprété. Depuis la terrasse, il les trouvait d’ailleurs drôlement agités. Il quitta son barbecue pour aller voir ce qui se tramait dans le fond du jardin, entre le cabanon et le composteur. Ils avaient dû
tomber sur une pauvre bestiole à moitié morte et jouaient avec. À moins que cela ne soit compatible avec ses grillades, ladite bestiole finirait dans un sac poubelle d’ici quelques minutes. Il s’arrêta net devant la trouvaille.
– Regarde ce que Dogo a trouvé, papa, c’est super ! s’exclama son petit dernier du haut de ses cinq ans. « Super » n’était pas le mot auquel pensait M. Da Silva, dans sa langue natale. Son chien avait, semble-t-il, découvert un « super » os de bras à ronger et il pouvait distinguer dans le trou creusé par Dogo un bout de crâne humain qui dépassait. Branle-bas de combat ! M. Da Silva envoya les enfants vers l’intérieur de la maison et cria à sa femme de les garder avec elle. Dogo serait plus facile à gérer. Mais ce dernier avait un trésor qu’il comptait bien défendre et grignoter pendant un certain temps. Le molosse fut récalcitrant. Et les invités commençaient à arriver. M. Da Silva entendit son copain Marco beugler qu’il exigeait une bière fraîche, car il était déshydraté d’être venu à vélo. Des rires fusèrent, mais M. Da Silva ne rigolait pas et Dogo non plus. Le chien ne voulait rien lâcher. Aucune autorité sur le poids lourd canin qui fut pourtant, quelques années en arrière, une peluche si docile. M. Da Silva dut battre en retraite et interdit à tout le monde d’aller vers Dogo dans le fond du jardin. Il expliqua que le chien gardait jalousement un nouveau jouet qui l’excitait particulièrement et le rendait un peu trop agité. Mieux valait le laisser en paix pour qu’il se calme. M. Da Silva sua à grosses gouttes tout le long du barbecue ; non pas à cause de la chaleur ambiante, ni des braises, mais il guettait nerveusement son chien qui s’ébrouait dans son coin, heureux. Tellement heureux qu’il se décida à venir partager son humérus avec les invités et l’apporta fièrement à son maître qui avait malheureusement baissé les yeux et sa garde pendant le service des merguez. Cela jeta un froid à la tablée. Sauf pour Marco qui avait avalé trois ou quatre bières et trouvait cela très drôle. M. Da Silva expliqua que c’était un jouet et se précipita dans le fond du jardin pendant que Dogo aspirait maintenant à une saucisse bien cuite. Il découvrit l’ampleur du désastre. Il devait bien y avoir un cadavre complet sous ses yeux. À moitié baveux des léchouilles de Dogo. Il fallait agir vite. Il attrapa dans son cabanon un sac pour les herbes mortes et enfourna ces restes humains rapidement. Les invités le réclamèrent. Les enfants voulaient venir voir. M. Da Silva peinait à tenir tout le monde à distance. Il
camoufla du mieux qu’il put le sac entre la tondeuse et les vélos. Il devrait l’enlever de cet endroit, ou sa femme le trouverait. Il ne manquerait plus qu’elle emmène cela à la déchetterie ! Il revint vers la terrasse et se composa comme il put une figure plus légère et expliqua avoir caché les
jouets du chien. Il passa l’après-midi à regarder Dogo lécher son humérus et bouillait d’impatience que tout le monde parte pour pouvoir agir.
En début de soirée, enfin, certains convives commencèrent à vouloir lever le camp. Mme Da Silva s’empressa de parler du prochain repas, des restes à finir, de prolonger cet instant « calme » sous le beau soleil breton... et Marco de faire savoir que dans pas très longtemps, ce serait l’heure de l’apéritif ! M. Da Silva intervint fermement. Non ! Ce ne serait pas possible cette fois, il avait prévu autre chose. Il n’y avait plus assez de nourriture, ni boissons. Sa femme était interloquée, ce n’était pas le genre de la maison. Mais M. Da Silva tint bon. Les invités sentirent un vent quelque peu houleux se soulever au numéro neuf de la Résidence du Bon Repos et décidèrent de rentrer. Marco fut escorté de force par un
convive, emportant son vélo dans le coffre de la voiture. Marco ronflait déjà à l’arrière du véhicule, à peine tourné au coin de la rue, bercé par le ronron du moteur. Mme Da Silva fut chagrinée et entreprit de bouder et le fit savoir en rangeant bruyamment la vaisselle. Ne travaillant pas, les week-ends entre amis étaient source de bien-être et réconfort pour elle, qui gérait la maison et les enfants toute la semaine, sans voir son mari qui enchaînait les petits jobs après son vrai travail. Et c’est pour cette raison que M. Da Silva était très nerveux. Leur statut ici ne dépendait que de lui et de son emploi stable pour le précieux visa accordé et soumis à reconduction régulièrement. Si un incident aussi énorme que ce corps découvert dans leur jardin venait à se savoir, il perdrait tout et tout le monde devrait repartir à Cuba. Ce serait trop difficile.
Comment ce cadavre était-il arrivé là ? Dogo avait mis du temps à le trouver ! C’était sûrement lié aux travaux mitoyens avec cette satanée résidence « bis » qui faisait tant parler le quartier. Ils avaient charrié tellement de terre qu’ils avaient dû remonter à la surface cette dépouille. M. Da Silva se demanda quand même qui cela pouvait-il bien être ? Il transpirait toujours tandis que Dogo avait lâché son os pour jouer avec les enfants, comme à son habitude. M. Da Silva l’attrapa précipitamment et alla le fourrer dans le sac dans le cabanon de jardin. Son téléphone sonna au même moment. C’était Mme Fribourg, du numéro trois de la résidence. Elle était seule et arrivée depuis peu dans sa maison. Elle l’appelait souvent pour des services et petits travaux et cela arrangeait bien M. Da Silva pour ses fins de mois. Il décrocha machinalement, toujours très nerveux. Elle lui demanda s’il pouvait venir dans la semaine pour élaguer les haies et emmener le tout en déchetterie. M. Da Silva était trop préoccupé et voulait décliner de prime abord quand son regard se posa sur le sac d’os... Finalement, ce serait une bonne idée. Un peu de jardinage lui ferait faire de l’exercice et lui rapporterait quelques sous... et une cachette adéquate. M. Da Silva retrouva le sourire et promit de passer dès le lendemain et se proposait de tondre aussi la pelouse pour le même tarif ! La tranquillité n’avait pas de prix ! Très soulagé, M. Da Silva put alors se détendre après avoir fermé le cabanon de jardin à double tour et gardé la clé avec lui. Il lui fallait maintenant affronter un autre canidé qui lui montrerait les dents toute la soirée : Mme Da Silva !
CHAPITRE 4 : Madame Fribourg (numéro 3)
Mme Fribourg était une jolie jeune femme, un peu rondelette et fort joyeuse. Elle venait de s’installer dans la résidence après un divorce pénible dont le pécule lui avait permis l’acquisition de cette maison de plain-pied, au numéro trois. Son petit nid, qu’elle aménageait à son goût, prenait forme grâce à son charmant voisin du fond, un Cubain très habile de ses mains. Il lui rendait des services et elle évitait des sommes astronomiques en main d’œuvre. Ce qui l’autorisait à réaliser les agencements de ses rêves et de faire une bonne action en faisant appel à ce voisin, qui avait bien besoin d’arrondir ses fins de mois. Ce fut donc avec un grand sourire qu’elle ouvrit la porte à M. Da Silva le lendemain après-midi, pour attaquer la corvée de taillage printanière des haies.
Mme Fribourg avait confiance en M. Da Silva. Elle n’était pas de nature méfiante et malgré un mariage qui avait houleusement fini, elle n’avait gardé aucun ressenti. Elle avait tourné la page. D’autant plus que ses charmes agissaient terriblement sur le genre masculin et Mme Fribourg, redevenue demoiselle officiellement, y trouvait son compte. Non pas auprès de M. Da Silva, qui, cependant, devait glisser un œil de temps à autre dans l’échancrure d’un décolleté généreux, mais auprès d’un autre habitant, qui avait rapidement succombé. La Fête des Voisins étant une source de rencontres inattendues... Toute à sa joie de s’affairer dans le jardin par ce bel après-midi de début de semaine, Mme Fribourg ne s’occupa que de ses précieux rosiers et ne prêta aucune attention à M. Da Silva qui s’attelait sans relâche aux haies, à la pelouse, avec force allers-retours du cabanon à sa remorque pour y déposer les déchets verts. Quand il eut fini, il promit d’aller en déchetterie le lendemain, encaissa allégrement l’enveloppe préparée par Mme Fribourg et mit les voiles, un grand sourire aux lèvres. Mme Fribourg le trouvait drôlement gai et pensa qu’il devait être content du travail accompli. Il est vrai que les premiers entretiens printaniers étaient une corvée mais cele changeait l’allure des extérieurs et
réveillait la nature. Elle prit donc le temps de flâner dans son jardin et de l’admirer, de ramasser une branche de haie oubliée çà et là, de regarder les bourgeons qui se manifestaient, puis rangea ses outils dans la cabane prévue à cet effet. Il était près de dix-huit heures, elle devait se hâter et se faire belle, car elle avait de la visite ce soir. Son habituel cinq à sept, qui se passait en réalité de dix-neuf à vingt voire vingt-et-une heures ! Ses yeux se posèrent sur le composteur à côté du cabanon. Il y en avait un à chaque maison, cela faisait partie des aménagements communs attribués à la construction de la résidence. Mme Fribourg ne s’en servait pas. Elle aimait jardiner et maintenir son terrain fleuri, mais de là à avoir un potager et composter... Cela la rebutait. Elle l’avait donc mis en vente sur le fameux site Le Bon Coin. Elle avait eu une demande pour l’acheter. Les personnes intéressées devaient passer le lendemain soir pour conclure la négociation. Mme Fribourg était contente de s’en débarrasser et de gagner quelques euros sur la transaction. Ce qui lui permettrait certainement de faire faire des travaux à M. Da Silva. Oh ! Il lui vint l’idée qu’elle aurait pu le lui proposer, il aurait peut-être voulu l’avoir ou le revendre lui-même. Tant pis, elle avait fait affaire !
Elle se précipita dans sa salle de bain et se prélassa dans sa baignoire, en attendant son amant, du numéro sept, M. Charbonnier. Un bel homme dans la force de l’âge et du démon de midi. Sa pauvre femme en avait pris son parti et ne vivait quasiment plus avec lui. Ils avaient une résidence secondaire en Provence. Mme Charbonnier ne venait qu’occasionnellement pour des raisons administratives et ces jours-là étaient
des « gardes à vous » et des « profils bas » pesants pour les deux soupirants. Lorsque les présentations avaient été faites pendant la première Fête des Voisins à laquelle participait Mme Fribourg, il y avait eu comme un courant électrique entre elle et M. Charbonnier. Il ne tarda pas à se
manifester devant sa porte, en fin d’après-midi, une bouteille de champagne à la main... et depuis, tous les soirs, M. Charbonnier arrivait chez elle. Comme leurs maisons étaient sur le même alignement, il utilisait un chemin de traverse situé à l’arrière des habitations qui permettait un accès pour entretenir les haies et clôtures. Ce petit passage avait trouvé entre leurs deux foyers une tout autre fonction, autorisant des allées et venues plus discrètes, voire incognito. En théorie... Mme Charbonnier savait, mais Mme Charbonnier préférait sa vie en Provence depuis des années et ne gardait son mari que pour les apparences. La bonne vieille rengaine de la honte du divorce dans certaines familles.
Le lendemain, vers dix-neuf heures, quand les acheteurs du composteur arrivèrent, Mme Fribourg était impatiente de se débarrasser de cet objet inutile et de retrouver son amant juste après. Elle les trouva assez originaux. Des « bobos » ancienne génération qui vivaient façon « bio » en faisant un maximum de choses par eux-mêmes, en se passant de la vie de surconsommation qu’est la nôtre aujourd’hui. D’oùl’acquisition d’un composteur supplémentaire pour eux. Ils expliquaient à Mme Fribourg les bienfaits de faire soi-même son jardin, son pain, avoir ses œufs le matin par des poules déambulant en plein air, des moutons pour tondre le gazon, des herbes folles dans leur terrain, de l’eau de pluie pour arroser, etc. Mme Fribourg écoutait d’une oreille distraite, bien contente de son confort moderne. Elle était devant le composteur et s’apprêtait à l’ouvrir en grand quand elle eut un haut-le-cœur en soulevant le couvercle. Non pas d’anciens déchets en train de composter s’offraient à sa vue, mais un cadavre au-delà du procédé de compostage y reposait, en vrac ! Mme Fribourg lâcha le rabat avec un petit cri. Les potentiels acheteurs s’enquirent immédiatement. Qu’est-ce qui n’allait pas ? Ils pouvaient regarder ?
– Ah non ! s’exclama Mme Fribourg en faisant barrage de son corps devant le composteur.
– Pardon ? demanda le monsieur.
– Euh..Je crois qu’une bête est en train de se décomposer dedans. Vous savez, on a plein de chats dans la résidence.
– Je peux l’examiner si vous voulez. C’est la nature. Mais comment aurait fait un chat pour ouvrir le capot ? S’interrogea justement l’homme.
– Euh, bon, okay, je vais être honnête, y’ a un trou derrière ! Voilà, je ne vais pas pouvoir vous le vendre, improvisa-t-elle. Je vais vous raccompagner.
– Mais attendez, c’est peut-être réparable, il a l’air en bon état de ce côté, on peut voir l’arrière ? Et puis s’il y a un gros rat dedans, cela ne nous fait pas peur vous savez, on a l’habitude, nous ! insista la dame.
– Non, je vous dis que non ! commença Mme Fribourg en entendant sa propre voix monter dans les aigus. J’annule la vente, je vous dis !
Et elle les houspilla de force jusqu’à leur voiture, un Combi mal en point, tout en ignorant leurs protestations. Ils repartirent dans leur engin cahotant et crachant une fumée noire, pour le moins pas très écologique.
Mme Fribourg se précipita sur son téléphone portable de haute technologie pour appeler à la rescousse... son amant. M. Charbonnier arriva en trombe directement par le jardin, moitié affolé, moitié dubitatif. S’attendant presque à une mauvaise blague. Mais il déchanta devant l’objet de l’affolement qu’ils examinaient maintenant de manière suspecte.
– C’est là depuis quand ? Demanda-t-il à une Mme Fribourg blanche et tremblante.
– Je sais pas, moi ! S’il faut, depuis des lustres !
– T’as pas regardé le composteur à l’achat ?
– Bah, non, je m’en sers pas et je m’en fiche. La preuve, je l’ai mis en vente !
– Faut tout examiner avant de signer !
– Oh ça va, c’est facile à dire, t’étais pas là à la visite. Et pis t’es bien content que je l’aie achetée cette maison et que j’habite ici, non ?
– Bon, bon, okay, tenta-t-il d’apaiser.
– Qu’est-ce que je vais faire ? Faut prévenir la police ?
– Ah non ! On va pas faire ça, après ils vont fouiner partout. On va être mis en lumière. Pas question de ça. Je te rappelle ma femme... maugréa-t-il.
– Ah oui, elle et son argent qui te tiennent par un fil à la patte !
– Bon, on va pas commencer comme ça...
– On fait quoi alors ?
– Je m’en occupe, lâcha M. Charbonnier au bout de quelques longues minutes.
Cette soirée fut nettement moins gaie pour les deux tourtereaux. Il ne fut pas question de cinq à sept et cela avait même un peu ébranlé leurs envies futures. Un gros os venait de perturber leur ritournelle amoureuse. Mme Fribourg se rappela qu’elle aurait pu le donner sans vérifier à ce pauvre M. Da Silva. Quelle histoire cela aurait fait ! Mais elle se demanda quand même si ce n’était pas une idée de Mme Charbonnier, pour vengeance. M. Charbonnier, lui, se demandait s’il avait une brouette dans son cabanon de jardin.
CHAPITRE 5 : Les Lebreton (numéro 8)
Ce ne fut pas une mince affaire pour M. Charbonnier, mais il accomplit son plan, un soir où ses voisins d’en face étaient tous monopolisés à l’église pour leur réunion hebdomadaire. Les Lebreton étaient une famille tranquille, religieuse et pratiquante. Cinq enfants, tous élevés dans la droiture et le respect de leurs semblables. M. Lebreton était un directeur comptable strict et Mme Lebreton était une femme dynamique pour le bourg, à la mairie et dans diverses associations et activités de parents d’élèves. Et elle tenait aussi à mi-temps la bibliothèque. M. Charbonnier les trouvait rasoir, mais leur réunion du vendredi soir l’arrangea bien.
Il imagina même un prétexte sans faille : n’ayant pas de brouette, il l’emprunta directement aux Lebreton, qui lui fournirent dans un élan de charité chrétienne bien honorable !
La brouette fut trouvée dans l’allée principale avec un mot de remerciement vers vingt-et-une heures et remise à sa place le lendemain matin, dans le fond du jardin. M. Lebreton aimait à enseigner à ses enfants les rudiments du jardinage. Tous les week-ends étaient motif à faire participer toute la famille et comme la saison estivale avait démarré, les tâches étaient nombreuses. L’aîné s’était fait remarquer la veille au soir à l’église. Il flirtait outrageusement avec une jeune fille du bourg. N’écoutant pas et remuant toute la veillée, M. Lebreton lui fit faire une besogne plus ingrate ce matin-là, pour marquer son désaccord sur l’attitude de son fils. L’adolescent fut de corvée de déraciner un sapin mort de l’araignée rouge dans le fond du terrain. Il fallait l’enlever avant qu’il ne propage la maladie aux autres thuyas. La terre avait été bien brassée par la tranchée des ouvriers pour les canalisations de la deuxième résidence et la tâche ne serait pas trop difficile à réaliser.
L’adolescent avait son casque rivé sur les oreilles pour écouter sa musique et s’attelait à son labeur sans réelle motivation, mais au moins il serait libre après d’aller rejoindre sa copine l’après-midi dans le bourg. Il ne faisait pas trop attention à ce qu’il faisait avec des gestes plutôt mécaniques et maniait la pelle sans remarquer des morceaux un peu blancs mêlés à la terre que le jeune homme jetait en motte sur le côté. Il s’arrêta cependant quand l’outil buta sur un obstacle plus dur. À y regarder de plus près cela ressemblait à…. NON ! Trop cool ! pensa l’adolescent qui dégainait déjà son smartphone pour faire des photos. Il gagnerait en popularité, c’est sûr ! Au moment où il allait poster ses clichés sur un réseau social, son père attrapa le téléphone au vol. Le garçon se retourna furieux :
– Eh ! Attends, tu peux pas me faire ça !
– …
– Quoi ? hurla l’adolescent.
Son père lui arracha le casque des oreilles.
– Je te parle depuis un moment et tu ne réagis pas avec ton satané casque trop fort. C’est quoi cette blague encore ? demanda M. Lebreton en colère devant un crâne qui jonchait au pied d’un sapin mort à moitié déraciné.
– Je viens de le trouver !
– Je ne te crois pas. Tu l’as amené de ton cours de science ?
– Non, je te dis, c’est bon, tu me saoules ! Il était là avant. Tu me crois jamais !
Au loin, la voix de Mme Lebreton se rapprocha.
– C’est quoi ce raffut les garçons, avança-t-elle avec un sourire. Encore une chicane ?
– Ton fils essaie de me faire avaler qu’il vient de déterrer un crâne sous le sapin et s’apprêtait à mettre les photos sur internet !
– Mais c’est la vérité ! s’insurgea l’adolescent avant de disparaître dans la maison et très certainement s’enfermer dans sa chambre pour bouder.
– Doux Jésus.... ça fait partie du lot, ça aussi ? demanda Mme Lebreton à son mari tout en désignant un tas d’os qui dépassait de la motte de terre entreposée.
– De quoi ? regarda M. Lebreton...Oh non, ce n’est pas possible… Il a raison, il vient de trouver un… un… un corps, lâcha M. Lebreton, médusé.
Mme Lebreton commença à marmonner un début de prière.
– Mais quelle horreur ! Il faut appeler la police ? demanda-t-elle.
– Euh… attends un peu… réfléchi M. Lebreton. Tu te souviens un peu de ma tante Églantine ?
– C’est elle ?!! s’égosilla Mme Lebreton. Doux Jésus ! Elle n’est pas enterrée au cimetière dans le caveau familial ?
– Euh, si ! Elle, oui ! Bon, tu sais que j’étais son héritier parce que j’étais son neveu favori… et de surcroît unique, mais il faut que je te raconte quelque chose. Viens, on rentre. Laissons ça comme ça pour le moment.
Les autres enfants étaient tous affairés à des activités diverses dans le jardin et les parents les rassemblèrent pour les envoyer dans leurs chambres. Étrange ! Ils avaient même droit à la console de jeux vidéos et à la télévision ! C’était jour de fête ! Ils disparurent tous très rapidement pendant que Mme et M. Lebreton s’installaient sur la terrasse. Mme Lebreton avait besoin d’un thé. M. Lebreton aurait bien pris un remontant type Chouchen, mais vu l’heure il se contenta d’un café serré. Et il raconta à sa femme un courrier remis par le notaire au moment de la succession.
Tante Eglantine était une « bourgeoise » comme on le disait à l’époque, ayant hérité d’une fortune par son père, marin de commerce en tissus précieux. Elle avait légué à son neveu, toute une parcelle il y avait une dizaine d’années de cela. Ladite parcelle, M. Lebreton la fit fructifier en la découpant et en faisant construire plusieurs maisons, dont la sienne, ce qui donna naissance à la Résidence du Bon Repos, dont le nom fut ingénieusement suggéré par Mme Lebreton. Ce terrain était en friche, car à l’époque, une rumeur courait sur son histoire et personne ne voulait l’acquérir et surtout pas bâtir dessus pour y résider. Il se racontait que la tante Églantine n’était pas étrangère à la disparition de son mari, par une sombre soirée de grand vent et de grande marée. La tante habitait dans une maison typique bretonne, dans le bourg. La nuit avait été terrible et de gros dégâts avaient été constatés le lendemain matin. Églantine ne s’entendait pas avec son époux, un coureur de jupons classique, qui trouvait refuge chez la boulangère, une petite veuve joyeuse qui tranchait avec la rigidité d’Églantine. La liaison était de notoriété publique, mais personne n’osait piper mot devant elle. Son mari avait été aperçu la veille au soir rentrant chez lui, puis disparu mystérieusement. Églantine, questionnée par les gendarmes à ce sujet, avait affirmé qu’il était sorti faire une balade et n’était jamais revenu. Sans s’inquiéter de son sort plus que cela, Églantine avait laissé passer les jours, mois et années, jusqu’à ce qu’elle fût officiellement déclarée veuve sans qu’on eût pu retrouver le brave homme. Une autre version circulait dans le bourg. Elle aurait profité des intempéries pour se débarrasser de cet outrageux conjoint. Et on disait qu’il avait été enterré dans la fameuse parcelle, quelque part. Beaucoup d’arbres avaient été déracinés cette nuit-là, les recherches étaient impossibles. Il y avait tellement de dégâts et de gens à secourir, le mari ne refit jamais surface. La boulangère resta inconsolable et Églantine souriait mystérieusement devant les rumeurs sur son terrain en friche. On ne sut jamais le fin mot de l’histoire.
– C’est pourquoi, je me pose la question… acheva M. Lebreton.
– Doux Jésus ! Tu penses que tante Églantine aurait tué son mari ? s’affola Mme Lebreton.
– Eh bien, constate par toi-même : il n’est pas arrivé là tout seul ce cadavre !
– Mais nous sommes des gens respectables, et tante Églantine était un modèle de droiture ! Elle a légué sa propre maison à la commune pour en faire une bibliothèque. Nous ne pouvons pas raconter cette histoire maintenant. Et puis, rien n’est prouvé !
– Je sais, concéda M. Lebreton. Mais il faut croire que l’héritage avait un revers de médaille. Heureusement, j’ai arrêté notre fils à temps, sinon, nous serions déjà en tête des faits divers sur les réseaux sociaux !
– Doux Jésus ! pleurnicha Mme Lebreton très soucieuse de perdre son statut de bonne chrétienne.
– Il faut que je parle à notre fils en premier lieu. Pourvu qu’il gobe ce que je vais inventer !
– Et ensuite ? Mme Lebreton angoissait.
– Tu sais, cette histoire avec tante Églantine qui se serait débarrassée de son mari adultère, ça me rappelle un peu ce qui se passe chez les voisins d’à côté. Le scandale de M. Traboule envers sa femme qui aurait une liaison avec le facteur. Il est drôlement sanguin M. Traboule, en plus.
– De ce que je connais par la bouchère, ce n’est pas qu’une rumeur, se reprit aussitôt Mme Lebreton, très à la pointe des commérages du bourg. Mais, je ne comprends pas, que vas-tu faire ?
– Quelque chose de pas très catholique, répondit M. Lebreton.
CHAPITRE 6 : Les Traboule (numéro 6)
Chez les Traboule, au numéro six de la Résidence du Bon Repos, les tranchées n’étaient pas seulement présentes dans le jardin. À l’intérieur de leur jolie maison à deux étages, double garage, arrière-cuisine et cabanon ; les saignées avaient également fait leur œuvre au milieu du couple. Leurs enfants étaient des étudiants qui avaient quitté le domicile pour s’encanailler dans quelques facultés de droit pour l’aîné et de sport pour la cadette, à Lyon, d’où étaient originaires leurs parents. Ce qui leur valut rapidement ce surnom : « les Lyonnais ». Leur maison, si bien tenue à leur arrivée, s’était gentiment délabrée, à l’image du couple. On ne savait pas trop pourquoi ce couple était venu s’installer ici ni qui avait plus tort ou raison, mais tout le quartier était sûr d’une chose : ils allaient divorcer ! À longueur de soirées, c’était le leitmotiv qui s’échappait bruyamment des fenêtres pourtant closes de leur demeure en bataille. Les chiens n’osaient même plus lever la patte sur la clôture tant les cris étaient aigus !
Mme Traboule se serait acoquinée avec le facteur, un jeune homme de dix ans son cadet, d’origine guadeloupéenne, qui avait le fervent dessein de retourner sur cette île paradisiaque. La demande de mutation était en cours. La seule question en suspens était de savoir si Mme Traboule ferait partie d’un « excess baggage » (bagage supplémentaire) ou non. A la dernière Fête des Voisins de la Résidence, les paris avaient été ouverts à ce sujet !
L’ambiance pesante laissait place à des cris et des bris de vaisselles ou bibelots, quotidiennement. « À ce rythme-là, ils n’auront plus grand-chose à partager en meubles et assiettes ! » s’exclama un jour M. Belon, du numéro un, qui s’était même mis à essayer de quantifier les dégâts.
M. Traboule partait tôt le matin pour son travail de directeur des ressources humaines dans une grande industrie, à une trentaine de kilomètres de là et Mme Traboule vaquait à ses occupations jusqu’au passage du facteur, vers midi… au moment de la pause déjeuner… Puis, elle démarrait son mi-temps de secrétaire dans un cabinet dentaire. Heureusement les cris et casses répétés n’allaient pas jusqu’aux coups, le voisinage était en alerte, au cas où… Le Lyonnais était un sanguin. En tant que voisin, il fallait se motiver pour aller lui demander quelque chose ou lui faire une remarque. En général, on l’évitait. D’ailleurs il ne venait jamais à une Fête des Voisins, seule sa femme se manifestait. Forcément, la sympathie était de rigueur envers elle, malgré son penchant pour le courrier postal.
M. Traboule faisait les cent pas dehors, pour se calmer. Nous étions déjà en juillet et le temps passait vite. Les enfants ne reviendraient pas à la maison pour les vacances. Ils avaient eu vent des problèmes de couple de leurs parents et ne voulaient pas être pris à parti. M. Traboule n’en pouvait plus de cette situation, sa femme lui échappait. Mais il ne pouvait se résoudre à la laisser partir. Et pourtant... Le sombre chemin menant aux cabinets d’avocats se dessinait même sur son terrain, après huit mois de heurts et diverses luttes éreintantes et inutiles. Inconsciemment, M. Traboule longeait les tranchées qui ornaient son jardin. La construction de cette nouvelle résidence était en train de ruiner son terrain et s’ils devaient vendre la maison, cela la rendrait moins attrayante ! Il partit regarder de plus près tous ces trous et bosses, dignes d’une taupe dopée à l’EPO ! Et il commença à distinguer des formes mal enfouies derrière le cabanon. Il faisait encore suffisamment jour à cette période de l’année. Mais qu’est-ce que... non de non, ce n’était pas possible !!!! M. Traboule faillit tomber dans un des creux béants de son jardin. Devant lui, s’étendaient des restes humains. Mais c’était là depuis quand ? Personne n’avait donc rien vu ??
Il se rua à l’intérieur de la maison, pour appeler la police. Mais il fut stoppé net dans son élan par sa femme qui se précipita sur lui, en pleurs :
– Qu’est-ce que tu as fait ? Il est où ??? Hein ?! Avoue ! commença-t-elle.
– De quoi tu parles ?
– Fais pas l’innocent. Tu as fait quoi ??
– Ça suffit, je ne comprends rien. Va te calmer ailleurs. J’ai un coup de fil à passer. C’est urgent ! la repoussa-t-il.
– Ah oui, ton complice pour s’assurer du travail bien fait ??
– Mais de quoi tu parles à la fin ?
– Henri ! Il est où ?
– Ton amant ??! Ce que j’en sais, moi ! Il en a eu marre de toi ! ricana M. Traboule.
– C’est de ta faute, j’en suis sûre ! Tu lui as fait quoi ? Il a disparu !
Mme Traboule était hystérique.
– Et alors ?
– Tu l’as tué ! T’avais dit que tu le ferais ! T’as osé ! s’effondra-t-elle en larmes.
M. Traboule s’arrêta net au moment de composer le numéro de la police… ce n’était peut-être ni le bon moment, ni judicieux !
– Euh… attends, reprenons calmement. Tu dis que ton « Henri » a disparu… depuis quand ?
– Deux jours ! Arrête ! Tu sais très bien tout ça ! Je vais appeler la police !
– Hop, hop, hop… tout de suite les grands mots. Tu vas te calmer un peu et réfléchir deux secondes, tu crois vraiment que je pourrai tuer un homme ??
– Oui ! hurla-t-elle.
Okay ! La soirée allait être longue et pénible. Dans un autre registre que les querelles habituelles, mais il fallait que M. Traboule amadoue son épouse, sache un peu plus ce qui c’était passé avec le facteur et puis surtout, qui pouvait être en morceaux dans le fond de son jardin ?!
Après moult trésors de patience et tempérance, M. Traboule parvint à se contrôler et apaiser sa femme. Il aida légèrement le processus avec un calmant dissout dans un thé qu’il lui prépara « gentiment ».
Quand Mme Traboule fut endormie sur le canapé, épuisée par les nerfs, les larmes et le sédatif ; M. Traboule put réfléchir sereinement, un verre de whisky à la main. Il essayait de mettre les informations bout à bout. Son épouse lui avait hoqueté que depuis deux jours, le facteur ne passait plus. Sa remplaçante n’avait pas pu lui expliquer où était son collègue. Ce dernier ne répondait plus au téléphone. Ce n’était absolument pas dans ses habitudes. Mme Traboule était très inquiète pour lui. Elle était allée chez lui et avait trouvé porte close. Les voisins ne savaient rien, ne s’étaient rendu compte de rien. M. Traboule avait avalé douloureusement ce récit tout en cogitant sur le cadavre qu’il avait découvert au fond du jardin. L’état des os suggérait que ce dernier datait de plus longtemps que deux jours. Ou alors, le facteur était passé par un polissage organisé par des piranhas, ou de l’acide… Mais il ne comprenait pas bien pourquoi et comment ce cadavre était arrivé sur son terrain. Sa femme était persuadée qu’il pouvait commettre un tel crime, coléreux comme il était. Mais la réalité dépassait cette fiction.
Ce qui était sûr, c’est qu’il ne pouvait pas appeler la police pour signaler ces restes humains, avec son épouse prête à lui coller sur le dos le meurtre présumé de son amant disparu. De plus, c’était vrai qu’il avait hurlé vouloir tuer cet amant qui brisait sa vie de couple, les voisins avaient dû l’entendre et ils ne lui feraient pas de cadeaux lors d’une déposition au commissariat. Il se savait peu aimé dans le quartier.
Bref, il fallait trouver une solution. Et vite, tant que le cachet faisait effet…
CHAPITRE 7 : Les Beulon, les Maudard et Mme Popains (numéro 1 ; 5 ; 2)
M. Beulon et sa femme étaient d’anciens gardiens d’une belle malouinière, à la retraite. Ils avaient investi leurs économies dans cette petite maison de plain-pied avec deux chambres, dont une pour recevoir leur fille de temps à autre, mais de moins en moins souvent. Pour égayer leurs journées, ils avaient adopté à la SPA un Cocker anglais, dénommé Fripon, qui donnait l’excuse à M. Beulon d’aller voir ce qui se tramait dans le quartier et observer les travaux de la nouvelle résidence, sous prétexte de promenade canine. Cela lui valait le surnom d’« Oeil de Moscou » par les habitants du lotissement.
Une nuit, du bruit fit dresser les oreilles de Fripon qui alla en informer immédiatement son maître, en bon chien de garde qu’il était. M. Beulon était presque insomniaque. À son âge, le sommeil ne lui manquait plus. Il fut rapidement alerté et se leva, tandis que son épouse, elle, dormait comme un bébé.
Postés maintenant devant une fenêtre sans volets, le maître et son chien observaient l’étrange manège qui se déroulait sous leurs yeux. Dans la maison d’en face, au numéro deux, chez Mme Popains, dite « la maison à Marie » (Mme Popains se prénommait en réalité Germaine mais les habitants du quartier trouvait que Marie Popains, c’était plus sympathique !), il y avait du mouvement. C’était difficile de bien y voir, la nuit était particulièrement noire et l’éclairage public était éteint à cette heure avancée. Alors M. Beulon alla chercher ses jumelles. Et ce qu’il distingua le laissa perplexe.
Il attrapa le téléphone et composa le numéro de la police. Un voisin était en train de commettre un délit chez une voisine !
Lorsque les gendarmes arrivèrent, il était quatre heures du matin, il pleuvait fort et la température de cette fin juillet était déjà bien fraîche. Ils avaient l’habitude des appels de voisinage pour dénoncer une infraction et se retrouvaient souvent au milieu de règlements de comptes déguisés. C’est pourquoi ils prenaient des pincettes suite à cet appel. Mais une fois sur place, ils se rendirent à l’évidence : c’était bien un cambriolage !
M. Beulon leur indiqua précipitamment le coupable qu’il avait formellement identifié par son claudiquement du pied gauche. Ce dernier était en train d’entreposer son butin dans une cachette de son garage, immédiatement repérée par les gendarmes. Ils découvrirent même un lot conséquent d’objets dérobés : tablettes numériques, téléphones portables, bijoux… un panel complet.
Le voleur était M. Maudard. Il habitait au numéro cinq de la Résidence du Bon Repos, avec sa compagne. Des Parisiens, venus chercher un peu de quiétude après une vie bruyante et stressante dans la capitale. Du moins, c’est ainsi qu’ils s’étaient présentés lors de la dernière Fête des Voisins à laquelle ils avaient participée.
M. Maudard et son amie furent emmenés rapidement à la gendarmerie locale et Mme Popains fut appelée pour constater l’effraction et les dégâts.
Le lendemain, M. Beulon fut le héros du jour à la Résidence. Il se glorifia humblement en arguant une déformation professionnelle tenace. Son récit enfla au fur et à mesure des semaines au bar/PMU du bourg et il devint un vrai Don Quichotte qui avait défendu « la maison à Marie », au péril de sa vie. L’histoire se corsa d’autant plus, qu’il fut découvert assez rapidement, d’après les empreintes digitales de M. Maudard et de sa compagne, que ceux-ci étaient plus que coutumiers du fait. Ils s’appelaient en réalité M. et Mme Dubois et étaient mariés, pour le meilleur des crimes et pour les pires des vols. Ils étaient recherchés dans la région parisienne pour des cambriolages en série. Le claudiquement était le souvenir d’un casse qui avait failli mal terminer et qui avait décidé le couple à se mettre au vert, en Bretagne.
Mme Popains, elle, était en vacances à l’étranger avec son nouveau compagnon quand elle reçut l’appel des policiers. Elle rentra par le premier vol pour venir constater le préjudice. Depuis qu’elle avait rencontré cet ancien avocat à la retraite, son veuvage s’était égayé. Ils voyageaient régulièrement : une passion commune. Elle était très choquée par ce que les gendarmes lui avaient annoncé. Elle, qui avait ouvert les portes de sa maison à ce M. Maudard, qui lui avait rendu service si gentiment en l’aidant cet hiver à déplacer des meubles ! Elle n’en revenait pas ! On ne pouvait plus se fier à personne de nos jours ! Heureusement qu’il y avait encore des gens comme M. Beulon pour défendre son prochain.
Mme Popains et son compagnon rentrèrent un mardi, en fin de matinée, le temps était clément et lumineux. Il leur fallait faire un état des lieux général. La maison avait été retournée, mais le couple de retraités semblait être assez anxieux pour ce qui concernait les extérieurs. Les gendarmes voulaient vérifier le cabanon. Il fut constaté en arrivant devant celui-ci que le cadenas avait été coupé. Mme Popains regardait son compagnon avec inquiétude, mais sous la pression des forces de l’ordre ils furent bien obligés d’inspecter l’intérieur. Ce qu’ils trouvèrent les laissa sans voix, gendarmes compris.
Le Brigadier Chaumont, du haut de ses trente ans de carrière, fut en charge de venir prêter assistance à ce couple de retraités fort sympathique et très choqué par ce délit commis en leur absence. Mais il ne s’attendait pas à cela :
– C’est quoi tout cet équipement vidéo ? demanda-t-il très surpris.
– Notre matériel, répondit platement le compagnon de Mme Popains. Mais Brigadier, vous devriez regarder à gauche, dans le fond.
– Ce sont des cassettes pornographiques ? Et c’est vous en photo ?? bafouilla presque le Brigadier.
– Oui, mais, allez voir là-bas plutôt, insista l’ami de Mme Popains.
– Mais vous avez soixante-dix ans ! s’insurgea le Brigadier.
– Brigadier, je vous assure, ce n’est pas vraiment le souci pour le moment. Regardez au fond, s’il vous plaît, appuya nerveusement Mme Popains, peu enchantée d’être devant des faits accomplis et cette surprise de taille.
– Brigadier, commença un collègue gendarme, il y a un cadavre.
– Pardon ? lança le Brigadier Chaumont.
Ce dernier se précipita dans le fond du cabanon. Des os reposaient en tas, vaguement dissimulés sous une petite bâche, qui recouvrait habituellement le matériel vidéo des retraités.
– C’est vous aussi, le corps ? demanda le Brigadier au couple.
– Ah non ! s’exclama le compagnon de Mme Popains. Il n’était pas là quand on est parti en vacances il y a trois jours. Ce doit être les cambrioleurs qui ont, en plus, déposé un cadavre !
Mme Popains commença à tourner de l’œil. Trop d’émotions la submergeaient.
Tout le quartier affluait chez eux. Les gens passaient forcément devant le numéro un en rentrant de leur travail ou autre activité et étaient intrigués par la voiture des gendarmes. Même les chefs de chantiers et ouvriers s’arrêtèrent par curiosité.
Un médecin fut appelé d’urgence pour Mme Popains.
Un jeune docteur qui venait de prendre ses fonctions dans le bourg attenant se présenta. Il arriva en pleine effervescence de commentaires et commérages, et dut se frayer un chemin pour fendre la foule. Il examina Mme Popains qui avait fait une petite crise d’angoisse aux vues des découvertes. Un calmant fut administré, rien de grave ne fut diagnostiqué.
Le Brigadier Chaumont demanda au médecin en aparté s’il pouvait jeter un œil sur le cadavre en attendant la police scientifique, qui mettrait un peu de temps à venir depuis la grande ville. Le jeune praticien obtempéra et s’exclama :
– Oh bah ça alors, c’est Hector !
– Vous le reconnaissez ?? s’étrangla le Brigadier Chaumont.
Et le jeune médecin de se tourner vers un couple de retraités dans la foule, qu’il avait salué rapidement en arrivant, et de s’écrier :
– Pourquoi Hector est-il ici, tante Margaux ?
CHAPITRE 8 : Les Bravard (numéro 4)
Une stupeur générale flotta quelques longues minutes au numéro un de la Résidence du Bon Repos. Ce fut le Brigadier Chaumont qui brisa le silence :
– Il va nous falloir des explications, messieurs, dames, entonna-t-il. Veuillez tous venir à l’intérieur, s’il vous plaît.
Il aurait besoin de renfort. Il n’avait encore jamais vu cela. Ce quartier était réputé tranquille et était très prisé pour la qualité de vie qui y régnait. Le Brigadier demanda à ses hommes de commencer ouvertement une enquête sur ce qui se déroulait ici. Chaque voisin devait être entendu. L’après-midi allait être long.
Le médecin étudiait les os du squelette de près, ce qui ne plut pas au Brigadier Chaumont :
– Ne touchez pas au cadavre, s’il vous plaît, docteur, il faut que la police scientifique l’examine. On va devoir prendre vos empreintes !
– Oh ! ne vous inquiétez pas, Hector est déjà recouvert de mes empreintes, annonça joyeusement le médecin au Brigadier.
– Je peux vous demander pourquoi ? commença le Brigadier en s’attendant à la pire des réponses.
– C’est mon squelette médical !
– Votre quoi ??
– Mon cadavre médical, insista le praticien. Voyez-vous, quand j’étais en faculté de médecine, pour m’exercer plus facilement, mon mentor, qui était un très grand chirurgien, m’a donné en cadeau Hector ! Oui, je l’ai appelé Hector, c’était plus convivial !
– Évidemment ! accorda difficilement le Brigadier tout en se demandant comment il allait expliquer cela dans son rapport.
– Bref, je reconnais bien Hector, car il a une entaille sur le fémur droit et il est tordu sur la main gauche. Vous voyez, Brigadier ? Et il y a un numéro de série à l’intérieur du crâne, vous pourrez vérifier facilement.
– D’accord, concéda le Brigadier stupéfait. Nous allons contrôler cela.
Le Brigadier Chaumont venait encore d’enrichir sa culture générale sans le vouloir…
- Donc, admettons pour Hector, reprit-il. Maintenant, comment Hector est-il arrivé là ?
– Alors là, Brigadier, je ne peux pas vous dire ! s’excusa le médecin en regardant les personnes âgées qui avaient retenu l’attention de tous, juste avant son explication.
– Pouvez-vous décliner vos identités s’il vous plaît, demanda poliment le Brigadier Chaumont en se tournant vers le couple qui se ratatinait l’un contre l’autre, devant lui.
– M. et Mme Bravard, Brigadier, articula péniblement le vieux monsieur.
Son épouse s’accrochait à son bras et ils étaient très empourprés tous les deux.
– Pouvez-vous nous expliquer, M. et Mme Bravard, ce que le squelette fait ici ? Et comment se fait-il que vous aviez la garde d’Hector ?
Un peu d’humour aiderait peut-être à digérer les informations qui fusaient en l’instant.
– Ma tante et mon oncle m’ont hébergé gentiment pendant toutes mes années d’études en médecine. Vous voyez, mes parents sont dans le Jura, Brigadier, et je ne pouvais pas faire la navette avec Rennes facilement, expliqua le médecin.
– Gentiment, humm, releva le Brigadier. Hector était devenu encombrant ? demanda-t-il aux retraités. Pourquoi l’avez-vous amené ici ?
– Ah non, ce n’est pas nous Brigadier ! On vous jure !
– Alors, on vous l’a volé ? suggéra le Brigadier.
– Euh… non, en fait on l’a retrouvé par hasard. En faisant des travaux. La toiture a perdu des tuiles à la précédente tempête de vent. On a récupéré Hector comme ça. Au grenier, dans un coin. On l’a caché un temps dans la chambre d’amis, mais les artisans risquaient de tomber dessus en faisant les réparations. On ne savait pas que notre neveu revenait exercer par ici. On l’a appris la semaine dernière. C’était une belle surprise. Hein, Jacqueline ? s’égara M. Bravard en regardant sa femme.
– Et ? Le Brigadier ramena le vieux monsieur à son récit.
– Et... On pouvait pas emmener Hector en déchetterie. Vous comprenez ?
Toute la foule hocha de la tête. Oui, ils comprenaient. Le Brigadier observa le manège d’un œil suspect.
– Vaguement… alors ? le pressa le Brigadier.
– Alors, on l’a déposé dans un terrain, un soir, avoua M. Bravard dans un souffle.
– Vous êtes allés l’enterrer ? Le brigadier lorgna les deux petits vieux, l’un en déambulateur et l’autre se cramponnant à sa canne… vous êtes surs ?
– Oui, avec le caddie à roulettes. C’est très pratique cet objet, vous savez.
– Je constate. Donc vous l’avez enterré où ?
– Là où ils font la nouvelle résidence, lâcha M Bravard.
– C’était vous ! entendit-on dans le fond de la foule humaine qui était suspendue au récit de M. Bravard.
Le Brigadier hoqueta. Il avait l’impression qu’il n’était pas au bout de ses surprises…
CHAPITRE 9 :
Mais d’où vient le squelette déposé chez Mme Popains ?
C’est la question que se posa d’emblée le Brigadier Chaumont. Tous les gens de la résidence étaient maintenant réunis au complet avec les ouvriers, les maîtres d’œuvres et d’ouvrages, le médecin et même les Dubois. Ces derniers avaient été amenés sur les lieux du crime pour faire une reconstitution. Ils juraient ne pas avoir touché au cabanon de jardin. Devant la mine atterrée de M. Dubois au sujet de l’équipement vidéo détourné à des fins érotiques du troisième âge, le Brigadier lui concéda un air de sincérité. Un bataillon de gendarme était attroupé également. Certains par pure curiosité piquée au vif, d’après les informations qu’ils avaient entendues au poste de gendarmerie. Ils voulaient voir cela de leurs propres yeux ! Un événement pareil n’arrivait pas deux fois dans une carrière. Un faux cadavre. Des retraités qui faisaient des films pornographiques dans leur cabanon de jardin. Des voleurs en cavale. Ils étaient impatients de découvrir la suite !
C’était le maître d’œuvre qui venait de s’exclamer dans la foule. Les gens se tournèrent vers lui aussitôt et le Brigadier Chaumont s’enquit :
- Vous connaissez Hector ? Le Brigadier décida que la légèreté serait une bonne approche.
- Eh bien, euh… on ne savait pas qu’il s’appelait Hector.
- C’était quand ?
- Bah au moins deux mois en arrière, Brigadier !
Deux mois ! Cela faisait deux mois que Hector avait été enterré…
- Poursuivez, demanda le Brigadier un sourcil levé.
- Les gars l’ont trouvé un matin sur le chantier, dans une tranchée. Nous, on a des délais à respecter. Un cadavre dans les travaux, ce n’est pas bon. On aurait été vite arrêtés !
- Certes ! Et donc, vous l’avez déposé ici, en partant un soir, comme s’il faisait du stop…
- Non, Brigadier, les gars l’ont mis dans le jardin de la maison d’à côté, au plus près.
Le brigadier regarda ses collègues :
- Qui est le voisin en question ?
- Gaggini, au numéro dix, renseigna un gendarme.
M. Gaggini contemplait ses pieds, comme tous les autres habitants. Il se racla la gorge avant que le Brigadier ne s’adresse à lui :
- Euh, oui, bon, je me suis demandé d’où il venait, mais bon, moi, je n’ai pas le temps de gérer la paperasse.
- La paperasse ? ironisa le Brigadier. Vous étiez peut-être en face d’un vrai cadavre je vous signale ! Vous l’avez planqué lâchement ici, chez des petits vieux innocents. Euh, enfin, presque.
Le Brigadier avait encore les photos des cassettes vidéo en mémoire… ce serait long à enfouir comme souvenir.
– Non, je ne l’ai pas amené ici Brigadier, répondit platement M. Gaggini.
– J’ai l’impression de jouer au Cluedo, s’exclama le Brigadier tout en s’épongeant le front. Vous l’avez emmené où ?
– Chez eux, désigna le Corse.
M. Da Silva sortit de l’ombre, blanc comme un linge. Le Brigadier n’avait plus besoin de poser de questions :
- Je ne voulais pas de problème avec la justice, Brigadier. Il y a ma femme et mes enfants. On ne peut pas retourner à Cuba ! Je l’ai mis chez Mme Fribourg. Pardon Mme Fribourg, s’excusa-t-il les trémolos dans la voix. Je sais que vous êtes bonne avec nous et vous me donnez du travail, mais je ne savais pas quoi faire.
Mme Fribourg était pâle et interdite.
- Ah bravo ! s’écria M. Charbonnier. Vous nous avez bien mis dans la panade ! Il a fallu que je me débrouille avec Hector ! Au fait Lebreton, merci pour la brouette, elle a été bien utile !
Le Brigadier Chaumont essayait de suivre. Quelqu’un avait un plan du quartier ?
- Oh ! Doux Jésus, s’exclama Mme Lebreton, se tournant vers son époux. Tu vois que ce n’était pas le mari de tante Églantine !
- Je sais, commença M. Lebreton, j’ai rappelé le notaire. Il y avait un verso au courrier qu’il m’avait communiqué, mais son stagiaire de l’époque ne savait pas faire les rectos/verso avec la photocopieuse. Tante Églantine a retrouvé son époux dans un fossé le lendemain, sous un eucalyptus déraciné par la tempête. Elle ne l’a dit à personne. Cela l’amusait beaucoup que les gens croient qu’elle l’avait tué, expliqua M. Lebreton penaud. Brigadier, j’ai déposé Hector en douce chez Les Lyonnais. Ils se tapaient presque dessus tous les soirs cet été, à cause de l’amant de son épouse. Ça m’a semblé être une bonne idée.
- Une bonne idée ?? s’insurgea M. Traboule. Mais je vais t’apprendre ce que c’est qu’une bonne idée, moi !! À cause de toi, ma femme était prête à me coller le meurtre de son amant sur le dos avec ta bonne idée ! Si elle avait vu Hector, je serais sous les verrous ! Alors que son amant vit très bien, chez lui, en Guadeloupe !
Mme Traboule était en larmes. Effectivement, son soupirant avait obtenu sa mutation et était parti aussitôt, très heureux de retrouver conjointe, enfants, et peut-être même (sûrement) maîtresses. Il ne s’encombra pas de déchirants aurevoirs avec la pauvre Mme Traboule.
- Et donc, vous en avez fait quoi d’Hector, M. Traboule ? reprit d’une petite voix blanche le Brigadier Chaumont qui essayait de noter les éléments qu’il faudrait éclaircir plus tard : tante Églantine ? le facteur ? … etc.
- Bah, c’est moi qui l’ai mis chez Mme Popains. Je les ai croisés un matin où ils partaient en taxi pour l’aéroport. Je m’en suis souvenu le soir même quand ma femme m’a fait un scandale suite à la disparition du facteur. Mais quand j’ai vu ce qu’ils cachaient dans leur cabanon ! Beurk ! J’ai des cauchemars, moi, la nuit !
- Vos nuits sont ennuyeuses, ça vous rend jaloux ! se défendit le compagnon de Mme Popains, piqué au vif. Et sans petite pilule bleue !
Il aurait pu ajouter « na ! » comme un gamin de cinq ans, cela n’aurait pas cassé le rythme de ces aveux effrénés.
Ils étaient tous coupables ! Si M. Beulon n’avait pas surpris un cambriolage de surcroit, allez savoir ce qu’il serait advenu d’Hector. Il avait fait le tour de la Résidence du Bon Repos sans trouver le sien !
Épilogue
Les gendarmes mirent un certain temps à boucler les démarches administratives et diverses charges retenues pour quelques faits. Seulement, balader un squelette médical de maison en maison peut surprendre en dehors de la période d’Halloween, mais au regard de la loi, rien de répréhensible ne fut vraiment maintenu contre les habitants.
Toutefois, aucune demande de dérogation ne fut réclamée pour organiser la Fête des Voisins l’été suivant, faute de participants.
Hector, quant à lui, fut donné à la faculté de médecine la plus proche et vécut heureux jusqu’à la fin des cursus scolaires. Une légende urbaine s’installa, lui accordant le pouvoir de se déplacer chez les gens pour espionner les secrets…
La carte de fidélité - cédric Lesueur
- Vous avez une carte de fidélité ?
- Euh, oui… Attendez.
Mal à l’aise, hésitant, je mis un certain temps à farfouiller dans mon portefeuille, puis lui tendit le fameux sésame.
- Non, désolée, ce n’est pas la bonne, fit-elle avec une moue dubitative.
Trop de cartes tuent la carte. Je devais en avoir une dizaine et chacune me donnait droit à des avantages exceptionnels si tant est que je veuille bien soulager régulièrement mon compte bancaire.
- Ah effectivement, constatais-je un peu gêné de mon étourderie.
- Vous n’êtes pas si fidèle en fin de compte, conclut-elle d’un sourire complice avec la cliente suivante, une sémillante sexagénaire dont le caddie plein à ras bord était proche de l’explosion.
Moi aussi d’ailleurs… Rouge pivoine, j’enfournais mes achats dans les cabas aussi vite que je pouvais et râlais intérieurement après ma femme qui m’avait imposé cette séance de torture.
- Au revoir, dis-je poliment en baissant la tête.
- A bientôt, j’espère.
Sauf erreur de ma part, ou bien elle s’était foutue ouvertement de ma gueule ou bien elle m’avait dragué, agréable sensation qui pourtant ne m’était plus arrivée depuis le siècle dernier. Par habitude et par un sens trop aiguisé de la réalité de la vie, je penchais logiquement pour la première hypothèse, la plus désagréable… Mais l’espoir fait vivre et même infime, il avait ravivé la flamme d’une vie par trop blafarde. La chaire est faible, l’homme d’autant plus…
sentiments exacerbés - cédric Lesueur
En haut de la plus haute et de la plus sombre des tours, deux hommes dans des costumes anthracite se toisent méchamment. Dans leur immense bureau au mobilier gris, aux murs gris, au plafond gris, ces types tirés à quatre épingles, brassent des milliards d’euros et conditionnent l’avenir de dizaines de milliers de personnes. Les directeurs de la MALO-Q sont encore jeunes mais déjà tellement puissants. Pourtant, ils ne sont pas encore au sommet, pas totalement. Il y a un dernier étage avant de toucher le Graal, d’atteindre le paradis… Ou l’enfer ? Au dessus, vit un prédateur autrement plus redoutable. Monsieur Samer, de son prénom Pierre Yves André demeure le général en chef pour quelques mois encore de cet immense vaisseau qu’est la multinationale MALO-Q, un consortium financier qui rapporte presque 11 pourcents par an à ses bienheureux actionnaires, des fonds d’investissements américains pour l’essentiel. Mais, toutes les bonnes choses ont une fin hélas et le sémillant dirigeant approche fatidiquement de la date de péremption… A 60 ans passés, les statuts de la holding l’obligent à partir les poches pleines, mais lui donnent aussi le droit de choisir qui sera son successeur parmi la paire de « spécaluteurs » précoces qui lui font office de sous-directeurs surpayés et de lèche-culs invétérés.
Ce matin-là, comme tous les jours, les candidats au titre de golden boy de l’année rivalisent d’imagination pour plaire à leur seul et unique électeur. Dehors, il pleut, mais ils s’en foutent comme de leur premier million. Derrière leurs multiples écrans aussi plats que leurs encéphalogrammes, ils n’ont même pas remarqué l’absence de Madame Michu, la secrétaire de direction, pourtant fidèle au poste depuis plus de 30 ans. Paul Amploi et Gérard Menvussa se détestent cordialement, mais une seule et même passion les unis ; les nombres et surtout les courbes de rendement qui les accompagnent. Celles de la nouvelle venue va emporter leur adhésion et tout sur son passage.
Il était un foie… - Cédric Lesueur
Au Chien jaune, ce soir-là il y avait Black Mamba, la voix de la soul et des opprimés. Plus que jamais fidèle à son nom de scène, son corps ophidien ondulait au milieu de musiciens transis d’amour et de « free base », une drogue en vogue à Chicago… Mais on était un océan plus loin, dans un autre monde... en Bretagne, à Concarneau plus précisément. Le chouchen et autres boissons magiques coulaient à flot et les habitués, pour la plupart des marins, semblaient tous hypnotisés par ce petit bout de femme se trémoussant avec une énergie incroyable dans sa robe psychédélique.
Parmi les spectateurs, Because le barman, qui était le frère de Black Mamba et accessoirement le propriétaire du bar, souriait de toutes ses dents nacrées. C’est lui qui l’avait sortie d’Englewood trois jours plus tôt pour qu’elle échappe aux griffes acérées de Jo Loco, l’un des caïds les plus craints de ce quartier miteux. Le gangster était désespérément fou de la jolie chanteuse et, lorsqu’il ne la frappait pas ou n’abusait pas de son corps d’ébène, il l’obligeait insidieusement à chanter du Rap, ce qu’elle détestait par-dessus tout. Pour assurer la sécurité de sa cadette mais surtout pour la rassurer, Because avait dû engager des comparses, une paire de clients parmi les plus assidus, des piliers de bars indéboulonnables qu’il faisait plus ou moins passer pour des gardes du corps. Monsieur Bloche, de son prénom Jérôme, passionné de polars et sans emploi dans la vraie vie, avait pris son rôle très au sérieux. Trop peut-être…
Vice et vertu, vice et versa - cédric Lesueur
1436 dans le nord-est de l’Italie. Bartholomé Casivelurius était un jeune vénitien, fils unique de riches négociants, bien dans sa peau, trop peut-être. Tel un glouton insatiable, il passait l’essentiel de ses journées vautré dans le luxe, à manger, ingérer inlassablement tout ce qui lui tombait sous la main. Pour ne rien arranger, hormis écouter d’une oreille distraite les monologues lénifiants de son précepteur, il ne faisait rien, strictement rien, absolument rien. Si bien qu’à quatorze ans, le Bibendum dépassait allègrement le quintal. Sa mère Luisa le couvait, mais pas Bénédict son père, trop souvent absent hélas, qui n’appréciait pas le comportement oisif de son futur et unique héritier, mais alors pas du tout... De retour d’un lointain voyage, il lui fit comprendre d’une façon assez particulière en lui offrant un porc et une couleuvre choisis évidemment pour leurs caractéristiques bien marquées : Le cochon prénommé Gula (gourmandise) était presque aussi gros qu’un hippopotame, si ce n’est plus... Quant à Acedia (paresse) la couleuvre, elle bougeait si peu que parfois on la croyait morte.
Au bout de deux années de captivité seulement, ses singuliers animaux de compagnie mourront dans d’atroces circonstances. Avaler des couleuvres peut parfois s’avérer mortel pour un porcidé obèse…
Les naufragés de l’invincible IV - cédric Lesueur
Pas un souffle de vent, une brume épaisse et une chaleur suffocante. La caravelle « L’invincible IV » n’avançait pas d’un pouce. L’équipage, non plus… Les sept pirates qui n’étaient pas des nains malgré leur petite taille restaient désespérément immobiles, attendant sans doute un signe du destin ou d’Éole tout au moins. En haut, le guetteur, un Ivoirien nommé Sorane ne voyait toujours rien venir et pour cause, avec cet épais brouillard on ne pouvait guère voir plus loin que le bout de son nez. La mer était d’huile, mais point de sardines à l’horizon, seulement un grand requin blanc presque aussi gros qu’une baleine qui tournait inlassablement autour du navire. De mémoire du Capitaine Cruchet, on n’avait jamais vu ça… Au fond de lui-même, le vieux boucanier savait pertinemment que cela ne présageait rien de bon… Sa jambe de bois le démangeait furieusement comme si mille moustiques l’avaient piquée.
Et il avait raison le bougre… Soudain, un bruit sourd et inattendu déchira l’atmosphère et sortit brutalement les marins de leur torpeur. Des vagues bien plus hautes que le mat se mirent à déferler constamment sur le pauvre navire. Les voiles furent aussitôt déchirées, déchiquetées en misérables lambeaux et Sorane, sans le vouloir, fit un plongeon digne des Jeux olympiques. Mais, ce n’était pas le plus grave, d’hallucinantes déferlantes se fracassèrent contre la coque et voulurent la projeter vers des falaises qu’on devinait, mais qu’on ne voyait pas. Par chance, le ressac empêcha la catastrophe ou tout du moins retarda l’échéance. Les marins découvrirent subitement qu’ils étaient très proches de la côte, mais tout ce qu’ils voulaient maintenant, c’était sauver leurs misérables peaux de mécréants.